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Je n’en ai jamais parlé jusqu’à aujourd’hui, et je ne sais pas trop pourquoi. Sans doute parce que c’est ce qu’on apprend quand on est handi : ne pas se plaindre, accepter en silence et avoir honte d’exister. Mais il y a eu des échanges sur le sujet ces derniers jours, ça me semble le bon moment pour le faire. On va donc parler handicap, école, validisme, harcèlement scolaire. Ça ne va pas être drôle, sachez-le avant de continuer.
Avant toute chose, étudiant·e·s handi : recevez toute mon admiration pour être parvenus si loin (peu importe le niveau) malgré tout ce que la société validiste fait pour nous en empêcher. Personnellement j’ai été déscolarisée au lycée, alors que j’avais, jusque là, été une bonne élève. Un aboutissement inévitable quand on regarde mon parcours avec du recul, pour de multiples raisons…
Il faut savoir que j’ai un handicap lourd mais qui ne m’empêche pas de marcher (à peu près). Cependant, ça a toujours été douloureux et plus le temps passait, pire c’était. Maintenant que je peux choisir, il est clair que je m’épargne cette peine le plus souvent. Mais quand on est enfant, on est soumis à des volontés supérieures : celles des parents (qui pensent qu’il faut vivre « comme tout le monde pour ne pas être mis à l’écart », dans mon cas une mère pleine de bonne volonté mais pas tellement à l’écoute de son enfant), et celle de la société qui veut environ la même chose mais pour d’autres raisons (il faut vivre comme tout le monde parce qu’on ne va pas se plier en quatre pour vos petites personnes, hein, bon, démerdez-vous).
En primaire ça allait, j’étais dans une école de campagne où le nombre total des élèves représentait environ la taille d’une classe moyenne. Petit bâtiment, petites distances à parcourir, et j’étais très jeune donc tout se passait relativement normalement. L’arrivée au collège a été plus difficile… La liste des aménagements dont j’ai bénéficié est assez courte : utilisation d’un ascenseur le jour où il serait construit (spoiler : jamais, donc escaliers), partir 5 minutes plus tôt que les autres élèves avant la pause de midi et le soir, utilisation de l’infirmerie pour être au calme entre la fin du repas de midi et la reprise des cours, accompagnée par un élève. Au début, l’accompagnement valait aussi pour la fin des cours, afin que l’élève me porte mon sac, mais assez rapidement j’ai laissé tomber… Pourquoi ? Les profs n’aimaient pas trop qu’une élève quitte plus tôt (quand ils me laissaient faire), alors deux, vous n’y pensez pas. Une autre raison évidente : l’exclusion.
C’est le thème général de ma scolarité. J’ai bien eu des amis pendant un an, en 5ème, mais l’une d’entre eux est parti dans un autre établissement, et le second a décidé que c’était trop pénible d’être mon ami, il préférait une vie non-marginalisée. Parce que c’est ce qui est arrivé, fatalement. Première devant la salle de classe pour éviter de monter les escaliers en même temps que les autres, première à partir le midi (et il fallait former des groupes de 6 ou 8, bref une table complète, pour pouvoir rentrer. C’était un calvaire.), seule dans ma petite salle le midi, première à partir le soir… A cet âge là (et je doute que ça change avec le temps), c’est fatal. A l’exception de cette année bénie, j’ai passé mon temps seule. J’étais bonne en classe, au moins, et on fondait forcément de grands espoirs sur moi. Je suis même passée dans le journal local, comme caution inclusion du collège. « Elle deviendra biologiste », tout simplement parce que je le sujet m’intéressait à l’époque et qu’il fallait que ça soit grandiloquent. Je devais devenir quelque chose, sans l’aide de personne, malgré mon handicap et mes traumas, sinon tout le monde serait déçu. Et voilà le moteur qui m’a fait tenir pendant le collège : la peur de décevoir. Elle est devenue pathologique, j’ai accumulé des connaissances pointues sur plusieurs sujets, histoire d’être compétente dans tous les domaines, et mon caractère est marqué de ces stigmates pour toujours. Je ne suis pas perfectionniste par choix, mais parce que je ne sais pas faire autrement.
C’était une période vraiment très dure à vivre. Le matin, toute seule dans les escaliers, je pleurais souvent. J’essayais de ne pas aller en cours à la moindre occasion. La souffrance (physique et morale) était tout simplement insupportable mais je n’avais pas le choix. La première année, des élèves trouvaient sympa de m’accompagner le soir et le midi pour partir plus tôt des cours, mais rapidement c’est devenu pénible pour eux et, un jour, j’ai décidé de ne plus compter sur personne. Le sac était lourd, mais après tout je le portais à tous les autres moments de la journée alors à quoi bon. Pareillement à la pause de midi, le fait de ne pouvoir être accompagnée que d’un seul élève était un nid à problèmes et tensions diverses, j’ai préféré abandonner.
J’ai commencé à avoir une vie sociale à l’extérieur de l’établissement, avec des gens plus vieux et moins axés sur les apparences. Pour le meilleur et le pire, ça m’a aidé à survivre à ces années.
L’arrivée au lycée n’a rien arrangé. L’arrangement était environ le même : départ anticipé de 5 minutes le midi et le soir, avantage cependant (grâce au self) je n’avais pas à attendre d’autres personnes pour me mettre à table, j’entrais avant tout le monde, prenais, mon plateau, mangeais seule en quelques minutes et m’en allait rapidement. Dans un des bâtiments, il y avait un ascenseur que je pouvais utiliser, mais tous les cours n’étaient pas donnés là. Disparition du local utilisable le midi, j’allais au foyer, comme tout le monde. C’était plutôt bien la première année, j’ai eu des amies que j’ai pensé formidables, avant que nos chemins se séparent et que l’une d’entre elles se révèle être en réalité une commère qui répétait tout ce qui lui était dit sur ma vie privée. Plutôt bien, donc, mais de plus en plus épuisant.
Arrivée en 1ère (S, j’avais au moins assuré jusque là), totalement isolée entre des « camarades » détestables, la situation s’est dégradée très vite. Déjà, je ne profitais presque plus de mes 5 minutes de départ anticipé, et j’ai raté le car plusieurs fois. Merci les professeurs, vraiment. Ensuite, je me faisais harceler en classe, de manière insidieuse au début (ostracisation pure et simple), en partie par bêtises et en partie par jalousie (le fameux traitement de faveur tant envié… Je leur aurais volontiers laissé, avec tous les soucis de santé qui vont avec, pourtant) et lorsque j’ai malgré tout commencé à créer des liens avec une fille de ma classe, elle s’est un jour mise en colère contre moi parce qu’on lui avait rapporté des propos que j’aurai tenu (bien entendu, c’était faux), et j’ai rapidement compris que le seul moyen de ne pas souffrir plus était de disparaître. Des professeurs m’ont vu pleurer plusieurs fois avant les cours, mais aucun ne s’est préoccupé de m’aider. A bout de force, j’ai demandé à changer de classe mais « il fallait y penser avant », c’était impossible. Je me souviendrais toujours de l’entretien avec mon professeur principal, j’expliquais que j’étais à bout (je pensais à me suicider à chaque instant, et ma vie à l’extérieur du lycée n’était pas meilleure à cause de l’angoisse permanente de devoir y retourner, il n’y avait rien d’autre que le lycée et l’horreur), et il n’a à aucun moment eu le courage de me regarder dans les yeux. Il se bornait à dire que je pouvais « y arriver ». Arriver à remonter mes notes, uniquement, car elles avaient subitement baissé (incroyable, n’est-ce-pas). Broyée et recrachée par le système éducatif, je suis sortie calmement du bureau, et j’ai croisé quelqu’un que j’aimais bien. Une des rares personnes à avoir montré un peu de sympathie à mon égard… Il m’a souri en disant « à demain ! », j’ai souri en disant « je pense pas ! ». Et, en effet, je ne suis jamais retournée là-bas. Je pense que les gens m’ont oubliée en 34 secondes… Déscolarisation précoce, problèmes physiques et mentaux (ces derniers n’ont jamais été pris au sérieux parce que, vous savez, la fameuse force mentale des handis!), j’ai été happée dans une spirale assez catastrophique pendant plusieurs années avant de trouver un peu de stabilité. Pourtant, je fais encore parfois des cauchemars où je rate le bus, ou d’autres où il faut vite changer de salle et je me perds dans les bâtiments en peinant.
L’école, les professeurs, tout ça m’a profondément traumatisée alors que, sans être une période idyllique pour tout le monde, ça aurait dû passer, tout simplement. J’ai les capacité intellectuelles, j’aurais pu faire des choses utiles. Mais pour ça, il fallait un peu d’aide ou, à minima, qu’on ne m’enfonce pas la tête sous l’eau. J’ai profondément ressenti la haine des autres à mon encontre, contre ce qui n’est pas « normal », la société m’a bien renvoyée à ma place. J’ai perdu toute confiance en moi, ce qui a provoqué bien d’autres problèmes par lesquels je ne serais pas passée si j’avais connu un environnement bienveillant. Je suis incapable de me faire des amis, je suis maladroite et ça se ressent, je crois. On ne parle pas aux gens bizarres. Et puis je ne m’accroche pas aux gens, habituée au rejet inévitable je me prépare toujours à ce moment en évitant de m’attacher et en acceptant immédiatement tout signe d’éloignement comme la fin d’une relation. J’ai également un à priori très défavorable avec les enseignants, pardon hein, c’est pas personnel c’est votre… Congrégation toute entière qu’il faut revoir.
Bref.
J’aurais voulu être la dernière à vivre ça, sans vraiment y croire. Je suis désolée pour celles et ceux qui passent par les mêmes souffrances, ou d’autres encore pires. Et je n’arrive pas à croire qu’un jour ça ira mieux. Alors bonne chance à tous et toutes les jeunes handis. Il va en falloir.
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