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Quand on est handi, c’est parfois difficile d’avoir des ami·e·s. Enfin, surtout, de les garder. On ne peut pas participer à toutes les sorties entre valides, toutes les activités super funs qu’il faut absoooolment essayer… Et d’oubli en oubli, d’impossibilité en impossibilité, on disparaît purement et simplement de leur radar. Et à force, on ne tente même plus de s’accrocher. A quoi bon, on connait la routine.
Quand j’étais plus jeune, les choses étaient plus simples, du moins en apparence. En grande partie parce que je masquais la souffrance physique, on m’avait tellement appris qu’il fallait faire « comme tout le monde » que je forçais pour y arriver, pour maintenir l’illusion. C’était tellement difficile qu’un jour, tout s’est effondré. Je me suis retrouvée en larme à répéter « je peux plus, j’y arrive plus », et c’était terminé. Ce jour-là, en un instant, j’ai accepté de rompre le lien avec les dernières personnes que je côtoyais. Et puis j’ai déménagé, bref les choses ont changé, et il ne restait qu’internet.
J’ai rencontré des gens formidables, avec qui j’ai passé de super moments, mais le temps passe, on se pose, et un schéma a commencé à se dessiner : la plupart de mes potes se sont mis en couple, et, allez savoir pourquoi, mais pour beaucoup la vie de couple n’est pas compatible avec les potes sur internet. Ou alors c’était les potes tout court et je me fais une fausse idée, mais le fait est là : l’un après l’autre, ils ont tous disparu.
Ajoutons à cela mon manque de confiance en moi chronique (dû à un long moment de manipulation bien sale), et voilà la recette de l’isolement. Et pourtant, je ne suis pas la plus à plaindre ! Il y a un homme merveilleux qui partage ma vie, et un ami extraordinaire avec qui je suis en contact chaque jour ou presque. Je ne suis pas seule, fondamentalement, mais parfois, je ressens ce picotement et j’entends cette voix qui chuchote « si tu étais « comme tout le monde », tu aurais une vie sociale exaltante ». Je la fais taire en lui rappelant que je préfère rester là à tricoter ou jouer à WoW, mais elle est têtue et revient toujours.
Il y a eu, on ne va pas se mentir, des années très sombres. Parfois, entrecoupées de traumatisme que j’ai eu (et ai toujours) beaucoup de mal à gérer.
Et c’est alors que ! Twitter.
Pendant longtemps, j’ai uniquement lu. Partageant une ressource par-ci par-là, à quelques personnes qui s’étaient perdues sur mon compte. Mais chaque message était lu, relu, rerelu pour être bien certaine que tous les angles étaient couverts, que mon message ne serait pas mal interprété, que la personne comprendrait mon intention, etc. C’était fatigant.
Mais j’ai continué, on pourrait même dire persisté, et puis j’ai commencé à montrer mon travail. Petit à petit, quelques personnes l’ont remarqué, et de fil en aiguilles j’ai rencontré (et continue de rencontrer) des personnes formidables. Matériellement, ça ne change rien à mes conditions de vie, bien entendu. Mais moralement, tout s’est illuminé. Il y a des jours où j’ai du mal à interagir, d’autres où c’est plus facile. Je partage sans compter mon admiration pour le travail des autres, je like discrètement les meilleures blagues ou les réparties les plus appropriées, je discute tranquillement avec des personnes incroyablement bienveillantes. Dans certains cas, les relations ont doucement glissé vers l’amitié. Dans d’autres, j’ai encore du mal à surmonter ma peur de me faire détester ou d’être maladroite alors je n’ose pas dire tout ce qui me passe par la tête mais c’est pas grave, pas besoin d’être la « bff » de tout le monde, l’important c’est de bien s’entendre avec les gens qu’on apprécie !
J’ai beaucoup travaillé pour en arriver là. J’ai changé, énormément. Grâce à un simple réseau social. Tout n’y est pas rose, il y a des couacs, ou des gens qui m’en demandent trop, qui sont parfois désagréables, bref des gens, quoi. Mais globalement, ce réseau m’a aidé à sortir de ma coquille comme je n’aurais jamais cru ça possible. Et comment ? Grâce aux autres. On ne peut pas tout faire tout seul, et pour un pas que je faisais, il arrivait que la personne en face en fasse également un dans ma direction. Brique après brique, tout ça.
Alors voilà, ça fait peur de voir ce qu’un milliardaire mégalo a fait ou fera de cet endroit qui m’a tant donné. C’est dur, et on a envie de gueuler, de tout casser parfois. On part, aussi. Moi-même j’ai posé mon sac sur Mastodon, après avoir eu un compte à sa création qui n’a jamais été utilisé, ou très peu. Cette fois j’y ai laissé quelques fringues et une brosse à dent. Mais en tout cas, je n’ai pas encore envie de déserter Twitter. J’ai surtout envie de lui adresser cette sorte de lettre d’amour, ou plutôt d’affection. Tout a déjà été dit sur les mauvais côté de Twitter, sa mort annoncée avec une certaine délectation, et je trouvais important de lui rendre un peu justice en rappelant ce qu’il y a de beau avec les réseaux sociaux en général, et Twitter en particulier.
J’ai peur de perdre ces gens rencontrés ici, bien entendu. J’ai aucune envie de retrouver mon isolement anxieux. Mais d’une part, le fait d’avoir un sac ailleurs et de ne pas être partie seule, d’avoir la sensation d’être partie avec une partie de mon « cercle », tout cela calme beaucoup mes inquiétudes. D’autre part, j’ai l’impression que ce chemin parcouru est à sens unique, et que quoi qu’il arrive, même si demain tout disparait, j’aurais plus de facilité à nouer des contacts avec les autres. Bon, certes ça ne change rien à mes relations irl, je n’irais pas au nouveau bar à guacamole super tendance (en plus, va trouver ça au fond de ma campagne) ou à l’accrobranche, hein, c’est certain ! Mais enfin. Les relations amicales sont les mêmes, qu’on les partage en ligne ou devant une tortilla (maiiiis oui, c’est mieux avec des tortillas, je sais).
Proches, mutus, camarades, personnes nouvellement rencontrées, merci d’être là. Je suis chanceuse de vous connaître, et si Twitter disparaît demain, ou dans un an, ou dans dix ans, il me restera toujours une chose : mon affection (parfois discrète, mais sincère) pour vous ! 💜
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