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CW : vague évocation de sexualité, rien d’explicite. Mièvrerie manifeste, également.
La première fois que j’ai rencontré A., il était devant le collège avec quelques autres mecs. Il attendait quelqu’un, en plaisantant avec des gamins. Il souriait à pleine dents, une clope entre les doigts.
Il avait un de ces sourires incroyables, le genre avec des fossettes et d’une sincérité déstabilisante. J’allais rejoindre mon bus et j’ai totalement bloqué. J’étais hypnotisée par ses gestes, les boucles blondes qui lui tombaient devant les yeux quand il riait, penché en avant. La finesse de ses traits, sa petite gueule de catalogue.
Instant crush, pourrait-on dire. Ho, ça n’était pas la première fois que ça m’arrivait, mais en général je me disais « c’est au dessus de ton niveau, bichette, laisse courir ». Il était justement clairement, mais alors clairement au dessus de mon niveau (ne me jugez pas, je croyais sincèrement à ces conneries à l’époque). Et quand il a tourné la tête vers moi, sans doute à force de se sentir observé, il a penché la tête sur le côté comme un chiot avant de me faire un sourire. J’ai baissé les yeux et je suis partie vers mon bus. J’avais l’impression d’être intégralement rouge pivoine, et que ça n’allait jamais disparaître.
En partant, j’ai vu que la personne que le petit groupe attendait était mon plus-ou-moins-copain du moment. J’aurais préféré ne pas savoir qu’il existait un pont entre moi et cet espèce de grand crétin. Il m’avait fallut 20 secondes pour être obsédée par lui, et c’était pas une super nouvelle.
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La première fois que j’ai -vraiment- rencontré A., je n’ai pas su quoi dire pendant de trop nombreuses secondes. C’était au même endroit, et j’avais réussi à faire en sorte de lui être présentée. À lui et aux autres, forcément, parce que je n’allais pas expliquer les véritables raisons de cette demande, c’était un peu gênant. Je doute avoir été discrète très longtemps, cependant. Les mots, qui sortaient assez facilement devant les autres membres du groupe, restaient un peu bloqués dans ma gorge quand il tournait vers moi ses yeux verts. Je ne sais plus ce qu’il a dit, tout ce souvenir est noyé dans un bourdonnement ininterrompu.
Et les bruits de battement de cœur.
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La première fois qu’il m’a fait ressentir un désir si violent qu’il en était presque douloureux, c’est le premier soir que j’ai passé « chez eux ». Il y avait toujours du monde à la Ferme, mais il y vivait concrètement avec R., un ami. On est entrés dans la cours, et il m’a conduit dans le grand salon comme si j’étais une lady du 18ème siècle. Il était drôle, terriblement drôle. J’ai toujours eu un truc pour les gens drôles… L’adage n’est pas complètement faux, mais c’est aussi parce qu’un humour de qualité est un signe de finesse d’esprit.
Une fois dans le salon, il a pris une guitare et commencé à jouer Nothing Else Matters de Metallica, en me regardant d’un air suffisant. Un vrai move de merde, tellement cliché que j’ai failli en rire. Vraiment, la guitare pour impressionner les meufs ? Et -ce- morceau en plus ? Ahahah, allons, ça ne marche pas du tout sur moi, franchement je- ok, ça a marché. Ça a totalement marché. Et je pense qu’il le savait, ce petit con.
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La première fois qu’il m’a dit qu’il m’aimait, il ne l’a pas dit. Et je n’ai pas vraiment compris. Il venait de me ramasser en miettes, brisée comme une brindille, et il a dit « Je ne peux pas te laisser à ce genre de connard ». Il avait le sens de la formule, mais moi j’étais perdue trop loin pour comprendre. Ça ne voulait rien dire de concret, je n’ai rien répondu, en tout cas rien sur ce sujet. Il me serrait très fort dans ses bras, et je reprenais doucement conscience de la réalité tangible.
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La première fois qu’il m’a vraiment dit qu’il m’aimait, il ne l’a toujours pas dit. Il l’a écrit. Il m’a environ jeté sa lettre avant de se barrer en voiture, comme si la vulnérabilité l’avait soudain dépassé. Ou quoi que ce soit d’autre.
Il me disait à quel point il se sentait coupable de m’aimer, après tout ce qui était arrivé. Il ne voulait pas m’imposer quoi que ce soit, il voulait me laisser du temps, et attendrait « aussi longtemps que nécessaire » ma réponse.
Il l’a obtenue le lendemain, quand j’ai enfin réussi à lui remettre la main dessus.
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La première fois qu’il m’a embrassée, c’est quand j’ai répondu, à moitié suffoquée, que je l’aimais aussi. On était dans un minuscule parc peuplé de corneilles, il y avait du brouillard du fait de la proximité avec la rivière, et bien évidemment il n’y avait pas de soleil. Un vrai temps de film d’horreur, avec la bande son idoine.
Mais quelle importance, franchement. Je n’avais pas encore réalisé que c’était arrivé, que c’était vraiment arrivé. Que ce mec adorable, intelligent, magnifique, drôle et complètement perché était à priori tombé amoureux de moi. C’était inconcevable. Et tout le temps que ça a duré, tout ce temps où il m’a embrassée comme personne avant lui, j’ai cru que j’allais réellement mourir de plaisir. Ça aurait été une belle mort.
Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a refait sa petite tête de chiot, avec un demi sourire. « J’en sais rien, je ne peux pas te sortir de ma tête ». Correction, il n’avait pas toujours le sens de la formule, mais je m’en foutais. Je me souviens avoir insisté, coincée entre l’incompréhension et la peur que tout ne soit finalement qu’une mauvaise blague pour idiote crédule. Pourtant, même avec cette peur, je ne demandais qu’une chose : que ça continue encore un peu.
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La première fois qu’on a fait l’amour, ça a été un peu compliqué. Même si je le connaissais bien, que j’essayais de lui faire confiance, j’étais terrifiée pour plusieurs raisons. Je ne pouvais que penser « il a fait une erreur, il va bientôt réaliser ». Je lui ai demandé de se tourner le temps que je me déshabille, et je me suis glissée dans son lit. Quand j’ai enfin dit « c’est bon » et qu’il s’est retourné, il souriait parce que j’étais environ cramponnée aux draps. Il s’est allongé près de moi sans insister, et il m’a parlé de choses sans aucun lien. Il m’a fait rire. Plusieurs fois. Il était sur le côté, tourné vers moi, et par une sorte de magie il s’est rapproché tellement lentement que je n’ai pas vraiment perçu le glissement.
Il m’a attirée à lui, doucement, et on est resté face à face à parler encore. Je tremblais, mais moins qu’au début. Puis il a commencé à m’embrasser sur l’épaule, et j’ai arrêté de trembler.
On l’a fait trois fois cette nuit-là, et plus rien ne serait pareil pour moi. Aucun rapport avec un délire d’accomplissement ni rien de ce genre, c’est juste que je me suis sentie… Puissante. Je le voulais depuis si longtemps, et de toute évidence il me voulait aussi. J’ai eu la sensation que rien de ce que je pourrais désirer ne me résisterait dorénavant, j’étais la reine du monde. C’était une sensation grisante.
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La première fois qu’on s’est séparés, j’en avais marre de ne vivre que dans son ombre. Mais ça n’a pas duré, pas plus que pour les fois qui allaient suivre. C’était une étrange relation en pointillés, je me sentais trop obsédée par lui et je sentais que, parfois, je le suivais sur des routes dangereuses. Je voulais trouver la stabilité et le calme, mais bien sûr il ne pouvait pas me donner ça. Alors je partais, j’expérimentais… Et je revenais dès qu’il me le demandait en souriant, incapable de résister à ces fossettes.
Il ne m’en voulait jamais, il était juste patient. Il était tellement facile à aimer que je ne pouvais pas partir. Il était tellement mon idéal que je n’étais plus vraiment moi-même avec lui, mais que j’avais l’impression de n’être plus rien sans lui. Je me sentais parfois un peu perdue. Il n’y avait pas d’emprise ni de relation toxique, c’était moi le problème. Moi, et tout de même ses choix de vie un peu dangereux, qui me faisaient peur pour lui.
Pourtant, il me donnait la vie la plus merveilleuse possible, j’ai découvert tellement de choses avec lui, dans ses bras aussi. Il a été celui de toutes les premières fois, et le mètre étalon (sans mauvais jeu de mot) de toutes les relations suivantes, ou presque. Même maintenant, j’ai parfois l’impression d’avoir forgé mes fantasmes autour des siens et il m’est difficile de faire la part des choses.
Ce que je sais, c’est que je ne regrette rien. Rien de ce qu’on a vécu, bien sûr, mais pas non plus d’être partie. Mes raisons étaient valables, même si j’ai pendant un (long) temps eu la sensation d’avoir perdu mon âme sœur (faux positif, ça arrive !).
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La dernière fois qu’on a parlé, il m’a dit des choses que se disent les exs qui sont devenue ami.e.s. Genre « il n’a pas intérêt de te rendre malheureuse, celui-là ». Mais il m’a aussi dit « tu sais que je ne vais pas t’oublier, hein ? Et je sais que toi non plus. » Non mais vraiment, l’audace du mec, comme si j’allais me souvenir de lui- Ho, wait. Je vois ce que vous voulez dire.
Je ne peux plus écouter « l’éclipse », de Lofofora, sans penser à lui. À une époque ça me faisait pleurer, maintenant ça me fait étrangement chaud au cœur. Surtout cette fin :
Et subsiste l’espoir que quelque part dans ta mémoire cachée
Lofofora, l’éclipse (2005)
Mon nom ne soit pas sur liste noire mais sur papier glacé
Qu’il te revienne avec des souvenirs à consumer
Si jamais un soir la chaleur venait à manquer
Well. De toute évidence, il a eu droit au beau papier.
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