Gravure ancienne montrant l'entrée d'un terrier.

Dans la catiche

La face mal cachée de la Loutre


La Bête du Morvan

Temps de lecture estimé : 31 minutes (vous comprenez pourquoi je n’ai pas posté depuis trois jours… Je ne vous laissais pas dans le vent, j’étais juste occupée à écrire tout ça.)

CW : évocation de chasses aux loups. Photos de loups tués dans un des liens en source tout en bas de la page, mais je le précise à côté du lien concerné. Vous pouvez zapper la partie « Le prédateur moderne » si le sujet est trop sensible pour vous. Et je ne répondrais à aucun commentaire pro-chasse ou « régulation », c’est inutile de vous donner cette peine.

Je l’avais promis, je l’avais juré devant les anciens dieux et les nouveaux (dans ma tête en tout cas), alors c’est parti. Aujourd’hui, on va parler d’un sujet croustillant (sans mauvais jeu de mots. Quoique. La question reste en suspend.), un sujet qui fait fantasmer les foules, un sujet… Bref, on va parler d’une Bête Mystérieuse. Allez, avouez… Vous aussi vous avez émis des hypothèses sur la Bête du Gévaudan après des nuits blanches à rechercher des informations, hein.

Hm. On a toustes été jeunes, allez.

Ceci étant dit et par souci d’honnêteté, je dois dire que nous allons parler de plusieurs « bêtes »1, et un petit peu de comment la répétition de leurs attaques a marqué le Morvan jusqu’à nos jours. Littéralement, il y a encore des articles sortis dans les années 2010 qui parlent de « la bête du Morvan », mais on va y revenir à la fin. Attention, ça va être long, alors préparez-vous une petite boisson chaude avant de partir dans les boiiis…


Avant d’aller plus loin, j’aimerais faire un petit aparté sur la chasse aux loups dans le Morvan : elle a été acharnée. Hélas, c’était sans doute le cas un peu partout en France, et du reste c’est toujours le cas… Si le sujet vous intéresse (et que vous avez une tension qui ne risque pas de monter très vite), il existe un livre traitant spécifiquement des loups dans le Morvan ou, encore mieux, cet entretien merveilleusement « radio locale » sur ce livre. La chose important à retenir, c’est que de « simples » loups, parfois enragés, ont pu être pris pour des bêtes quasiment mythiques dès lors qu’elles sortaient un peu des courbes de poids classiques ou que le nombre de victimes devenait un peu trop élevé (la peur fait voir les choses en grand, n’est-ce pas). Il faut donc prendre les témoignages avec des pincettes et une bonne dose de recul.


Les attaques de loups… Ou pas ?

Mais reprenons, et menons l’enquête.

La généalogie, outre être une passion merveilleuse que je partage, ouvre parfois des fenêtres imprévues sur des évènements oubliés. C’est au détour d’un acte de décès ou d’une notice en marge d’un registre qu’une information va capter notre attention. Hélas, comme ce sont des évènements oubliés, hé bien… Il n’y a pas toujours d’autres traces que cette note perdue au milieu du reste, même pas particulièrement mise en avant, parfois à peine lisible. Sans les bénévoles qui prennent de leur temps pour numériser ces archives, ces informations seraient totalement inaccessibles, alors merci à elleux. Sur cette page d’un wiki de généalogie nivernaise, sont par exemple regroupées quelques « événements dus au loups« . C’est très intéressant, même si la plupart sont des évènements isolés et parfois sans gravité2. Cependant on peut s’attarder sur ces notes similaires, à une période très proche :

  • Clamecy (aux environs) – Novembre 1717
    Référence : Ordonnance de battue du 24 janvier 1718
    Des espèces de « loups-cerviers » dévorent les enfants ainsi qu’aux environs de novembre 1717 à janvier 1718
  • Saint-Pierre-du-Mont -1715
    Référence : Ordonnance de battue du 24 janvier 1718
    Des espèces de « loups-cerviers » dévorent les enfants ainsi qu’aux environs

À l’époque, Clamecy est une ville assez grande d’environ 4500 habitants, plutôt prospère. Saint-Pierre-du-Mont, à environ dix kilomètres de là, et un gros village d’environ 600 habitants. Ce sont donc des lieux relativement peuplés, les activités commerciales autour de Clamecy la rendent vivante et on n’est pas vraiment dans la situation de « petit village perdu ». Et pourtant, de toute évidence, on déplore des morts, qu’on attribue à « des espèces de loups-cerviers », c’est à dire des lynx. Curieux. La description est d’ailleurs incertaine (« des espèces de… »), et on a beaucoup de mal à imaginer des lynx attaquant des humains, même jeunes. On pourrait émettre immédiatement plusieurs hypothèses classiques dans ce genre de phénomène mystérieux : un félin étranger échappé d’une ménagerie, par exemple. Ou, oui, un animal plus bipède. Ou encore des loups vraiment très affamés, car les années de 1715 à 1717 ont été marquées par des hivers notablement rudes et des étés très secs, ce qui a pu pousser des animaux à s’en prendre à des proies plus faciles à trouver. Bref, on manque de documentation mais une « bête » mystérieuse est déjà à l’œuvre un temps sur ces deux communes (au moins).

Patientons quelques années et visitons Trucy-sur-Yonne, à environ 30 kilomètres de Clamecy, en 1731. Cette charmante bourgade de l’extrême sur de l’Yonne, comptant environ 300 habitants à l’époque, n’a rien de particulier… Pour le moment. Hélas pour elle, tout va changer quand, entre cette année 1731 et 1734, plusieurs personnes (presque une trentaine) seront dévorées par une bête mystérieuse. Les théories à son sujet rappellent fortement celles qui seront émises plus tard concernant la bête plus connues du Gévaudan : on évoque par exemple un tigre, ou une hyène (hypothèse très peu réaliste cependant). En 1901, Léon Foin y consacre un article dans le « Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne », lisible à cette adresse sur le site de Gallica (pages 51 à 58). Je vous en conseille la lecture à la fin de cet article, c’est un récit très précis qui contient les noms des victimes connues.

Arrive 1761 et nous allons maintenant aux alentours de Vézelay. Vous connaissez peut-être, sa basilique, le point de départ du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, tout le bordel. C’est à vrai dire un très joli village posé sur une colline, et la ville compte à ce moment environ 1000 âmes (ce qui est bien trop, même si à l’époque il n’y avait pas de problèmes de stationnement. Enfin je crois.) Bref, Vézelay disais-je, où l’on découvre le témoignage d’un chroniqueur ayant pris note avec assiduité, et pendant des années, de tous les évènements locaux importants. C’est au milieu d’anecdotes sur le vin ou les guerres en cours que l’on peut lire : « Plusieurs enfants de Bazoches, Vauban, Neuffontaines, Domecy-sur-Chore, Foissy et autres lieux, occupés à garder les bestiaux, avaient été successivement dévorés par un loup que l’on disait d’une taille extraordinaire, et comme cette bête féroce semblait s’attaquer aux enfants plutôt qu’aux animaux, le peuple en avait conçu une terreur superstitieuse. Cette même année, le monstre terrassa une jeune fille de 13 à 15 ans, originaire de Domecy-sur-le-Vault et louée comme bergère chez un nommé Bazarne, de Fontette. Quand on arriva au secours de la pauvre enfant, le loup lui avait déjà dévoré les entrailles et une cuisse. Malgré l’effroi qu’inspirait cette horrible bête, les habitants de Fontette se mirent à sa poursuite et l’assommèrent à Saint-André-en-Morvan. Les médecins voulurent examiner le cadavre de ce loup que l’imagination populaire regardait comme diabolique ils l’ouvrirent en effet, trouvèrent dans son estomac les débris d’un crâne d’enfant avec des cheveux3, et conclurent que c’était un loup « tout comme un autre, qui pouvait avoir neuf ans ». M. Pétitier, curé de Tharoiseau voulut voir aussi cette bête dont on avait tant parlé, et il reconnut que « c’était un loup ordinaire ». Ce loup avait sa louve, qui fut tuée quelque temps après, du côté de Neuffontaines elle était aussi féroce que le loup, mais moins hardie » (lisible sur Gallica, dans le « Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne » de 1902 et aux pages 358 et 359). Un loup, de nouveau, mais d’une taille « extraordinaire », qui devient à la fin un loup « tout comme un autre ». Les Bêtes Mystérieuses, c’est plus ce que c’était.

De retour à nos archives, on peut remarquer de multiples attaques pour la seule année 1801 autour de Varzy (commune tout à fait pittoresque, et littéralement collée à Saint-Pierre-Du-Mont, évoquée précédemment) : à Varzy même, mais aussi à Menou, Colméry, La Chapelle Saint André, Ménestreau et Oudan. Toutes ces communes se touchent, et je note là aussi presque une trentaine d’attaques. C’est énorme, surtout pour une si courte période de temps.

Carte de la zone géographique décrite au dessus, montrant à quel point les villages sont proches : il se touchent.
Carte issue du livre « Histoire du méchant loup » de Jean-Marc Moriceau

Curieusement, alors que la « Bête de l’Auxerrois » possède une page Wikipedia (même sommaire), la « Bête de Varzy » est totalement inconnue au bataillon. Sa description est pourtant saisissante : « Depuis plus d’un mois, un loup furieux et d’une espèce tout-à-fait extraordinaire, portoit la désolation et le ravage dans le canton de Varzy, département de la Nièvre. Dix-sept personnes ont été dévorées par ce terrible animal, entr’autres, une jeune fille de seize ans et un garçon de quatorze. Ce dernier fut enlevé et déchiré sous les yeux même de son malheureux père, qui se servit en vain d’un instrument de labour pour terrasser l’animal, et lui arracher sa proie. Heureusement, ce loup a été atteint et tué, le 17 prairial, par les chasseurs du canton, qui l’ont poursuivi pendant plusieurs jours. L’un d’eux a failli perdre la vie, ayant été quelques tems seul aux prises avec l’animal qui venait d’être blessé deux fois, et qui s’étoit élancé sur lui avec une nouvelle rage. Il tenoit dans sa gueule le fusil de son adversaire, qu’il toidoit avec fureur, et ne lâcha prise que lorsqu’il fut frappé mortellement par un autre picqueur. Cet animal était long de 5 pieds, haut de 32 pouces, beaucoup plus fort et plus léger à la course que les loups ordinaires. Son corps ressemblait à celui d’un lévrier ayant le col et le poitrail presque blancs, la tête longue et pointue, et couverte, ainsi que les épaules, d’un long poil.  » (la description est sur la page liée précédemment, mais aussi à cette adresse, page 3 en bas de la colonne de gauche avant les notes).
La description de l’animal est tout de même intrigante. Une tête longue et pointue, couverte d’un long poil jusqu’aux épaules ? Je suis perplexe. On pourrait presque penser à un lion, mais c’est probablement encore une fois la terreur qui parle. Cette affaire semble réglée en quelques semaines, entre mai et juillet 1801. Mais une autre bête sera bientôt à l’œuvre…

Image du livre d'origine, le texte est identique à celui reporté au dessus.

De 1814 à 1818, dans une vaste zone géographique comprenant Clamecy (encore) et Trucy-sur-Yonne (encore), une bête va faire de nouvelles victimes. Dans son livre « Histoire du méchant loup »4, Jean-Marc Moriceau nous rapporte « C’est « un » loup qui aurait fait 8 victimes au moins dans la vallée de la Cure du 26 mai au 3 septembre 1814. L’année suivante, c’est sur la rive gauche de l’Yonne que se produisent, en octobre 1815, trois attaques mortelles : une fillette de 8 ans qui accompagnait l’un des victimes déclare que « cet animal était gris blanc, avec de grandes oreilles et une grande queue ». Les ravages reprennent en mai 1816 au nord de la Nièvre, à Brèves, où la bête féroce qui s’attaque aux gardiens de bestiaux serait « une louve », abattue le 15 juillet : dans son estomac on retrouve des cheveux châtains. Deux semaines plus tard, de nouvelles agressions se produisent, à Brèves derechef, et de l’autre côté de l’Yonne, à Surgy, où un loup décapite un pâtre de 13 ans sous les yeux de son frère de 18 ans. Deux mois plus tard, le 21 septembre, dans l’Yonne cette fois, un jeune homme est étranglé par un loup à Asnières-sous-Bois. Enfin en 1817, autour de Clamecy, et plus au nord à Charentenay et Fouronnes, des enfants sont dévorés : c’était, dit-on, une « hyène » venue en France à la suite des Alliés. Pourtant ceux qui l’avaient vue soutenaient qu’elle était de la grosseur d’un fort mâtin avec les oreilles droites. Elle ressemblait donc à un loup. On empoisonna des moutons que l’on plaça à proximité des bois où elle se réfugiait : la bête féroce, qui fut sans doute la dernière de son genre en France du Nord, disparut sans qu’on retrouvât sa trace. Un épilogue est fourni le 16 janvier 1818 lorsque deux petits garçons âgés de 3 ans, habitant le village de Charmoy, à Billy-sur-Oisy, au nord-ouest de Clamecy furent, selon la tradition, les deux dernières victimes d’un loup sorti d’un bois voisin : l’un des garçons, le petit Jean Baron, fut emporté tandis que l’autre, épouvanté, accourut au village disant qu’une « grosse bête » avait ravi son camarade. Quelques jours plus tard, un bûcheron retrouva la tête de l’enfant dans un fourré puis l’agresseur fut tué aux environs d’Andries. Plus jamais ensuite il ne fut question de loup mangeur d’hommes. Une légende se forma, selon laquelle ce serait une femme étrangère, entièrement nue, qui se serait transformée en bête pour emporter l’enfant. Longtemps après, on ne passait sur les lieux de l’événement qu’en tremblant et le maréchal du village forgeait encore des fourches à deux dents pour se protéger quand on partait aux champs. Mais en 1910, le souvenir, que ne transmettaient plus que des vieillards, ne suscitait que l’incrédulité : l’éradication des loups avait eu raison des anciennes superstitions. »

Carte montrant la zone et la grande proximité géographiques des attaques de 1814 à 1818.
Carte issue du livre « Histoire du méchant loup » de Jean-Marc Moriceau

Ainsi s’achève l’épopée d’une des dernières « bêtes » anthropophages de France.

C’est un bel historique, tout de même. Alors, de multiples bêtes ? Incontestablement vu le laps de temps étudié. Des loups ? Certainement, en majorité. Même si les descriptions de ces animaux sont généralement un peu originales, on peut miser sur la peur qu’inspiraient ces tueries. Ou bien, on peut aussi penser à d’autres animaux. Et, j’y tiens, sans doute quelques humains.

Je n’ai pas fait de recherches comparatives avec les autres départements, mais ces chiffres ne sont peut-être pas si exceptionnels que cela. Dans sont livre sur les attaques de loups (et dans la 2ème édition, il y a peut-être eu une actualisation depuis), Jean-Marc Moriceau propose cette carte, intéressante :

Carte de France mettant en valeur les départements les plus sujets au attaques de loups et, plus spécifiquement, les communes. On note certaines zones particulièrement concernées : la zone Indre-et-Loire / Loir-et-Cher / Loiret / Eure-et-Loire / Yvelines, la zone Lozère / Haute-Loire, et une bonne partie de l'est de la France. On voit aussi la zone dont je parle dans cet article, fort heureusement.
Carte issue du livre « Histoire du méchant loup » de Jean-Marc Moriceau

On voit clairement que, sans être la région la plus sujette aux attaques, une zone se détache nettement du reste dans la Nièvre et au sud de l’Yonne et montre des attaques très localisées entre le 15ème et le début du 20ème siècle.

Que faire de ces données, maintenant ? Je crois que la première chose à faire est de leur redonner un contexte. Par exemple, c’est le moment de parler des familles rurales et pauvres, qui envoyaient leurs enfants s’occuper des troupeaux dans des lieux isolés des activités humaines quotidiennes. Les bêtes ne paissent pas entre les maisons… C’était un travail « facile », qu’on pouvait confier aux plus jeunes, qu’on envoyait tout de même au moins à deux et idéalement en petits groupes quand c’était possibles (ben oui, les familles n’avaient pas non plus envie de voir disparaître leurs enfants, iels essayaient de compter sur la protection qu’apporte le groupe). C’est d’ailleurs cette multiplication des témoins directs qui a validé de nombreuses attaques comme étant « non humaines ».

On peut aussi s’interroger sur les zones sans attaques déclarées. Chance ? Paysage social différent ? Ou tout simplement, disparition d’archives, comme j’en parlais plus tôt ? J’ai en tout cas la nette impression que les « bêtes fantastiques » étaient finalement assez communes, surtout à l’est, pour peu que la sécheresse d’un été soit trop difficile à supporter (en étudiant les périodes d’attaques, ce sont les mois de Juin et Juillet qui comptent le plus d’attaques5), et que celles qui sortent du lot ne le font que parce qu’on aime imaginer des choses extraordinaires, et pas juste un animal commun que tout le monde a déjà vu plusieurs fois. C’est probablement aussi lié au fait que, normalement, les animaux attaquent peu les humains, alors des attaques aussi ciblées sur nos congénères déchaînent forcément l’imagination.

Ce qui est une qualité, à mon sens. Moi aussi j’aime imaginer une créature exceptionnelle, dévorant vivants des gens qui- holala attendez non, c’est pas exactement ce que je voulais dire ! Mais j’ai une petite inclination pour la cryptozoologie, tout en sachant pertinemment que c’est stupide dans 99,99% des cas. C’est un de mes doudoux psychologiques, voilà tout.

En bref, malgré cet acharnement dans des zones et à des époques précises, les causes sont probablement tout à fait faciles à trouver. Même la plus célèbre de ces mortelles créatures n’était potentiellement qu’un groupe d’animaux qui avaient compris où trouver facilement de la nourriture quand elle venait à manquer.

Ah ben super, hein. J’appâte les gens avec des créature fantastiques pour finir par dire « c’était surement juste des loups qui avaient vraiment les crocs ». Remboursez.


La légende

… Mais on peut continuer de rêver.

On pourra m’objecter, à raison, que je parle de bêtes du Morvan alors que toutes ces attaques se situent juste à l’extérieur du Morvan, dans la zone nord-ouest de la région pour être précise et spécifiquement dans le haut-nivernais. Mais déjà, bon, ça touche j’te f’rais dire. Et surtout, je ne peux pas m’empêcher de trouver fascinantes ces multiples vagues d’attaques, toujours provoquées par des bêtes « hors normes » et très mal décrites, et tellement nombreuses dans un lieu que je croyais si bien connaître. D’autant que ces attaques recensées ont vraiment eu lieu en pourtour de la zone « officielle » du Morvan, et que je m’appuie sur une documentation très certainement incomplète qui occulte probablement un grand nombre d’attaques ayant eu lieu dans des villages reculés (enfin, encore plus reculés, quoi).

Pour le dire simplement, il est difficile de trouver de la documentation sur le sujet dans les villages des hautes forêts du Morvan profond. Peut-être en écumant les-dits villages et en fouillant dans leurs archives pendant des semaines, des mois voire des années… Et encore. C’est grâce à l’agrégation des informations et leur diffusion en ligne qu’il est aussi « simple » (les guillemets sont de rigueur) de pouvoir en parler ici. Le nombre d’attaques est alors potentiellement sous-évalué.

Statue en pierre d'un loup, allongé de tout son long sur le ventre. Une de ses pattes antérieures vient cacher son visage, car il est en train de pleurer.
Sommet de la Fontaine au Loup de Mailly-le-Château

Mais il existe une légende, tout de même, sans doute basée sur les craintes inspirées par les bêtes cruelles et souvent fantastiques qui hantent les bois. Mettez vous dans le noir, allumez une bougie, et let’s go. Dans son livre « La galvache et les galvachers« , Marcel Vigreux nous dit :

« Quelque chose qui sent son terroir d’une lieue est la Bête du Morvan, étrange protée qui jouissait du don d’ubiquité et parlait comme vous et mois ; avec cela, malfaisante, s’attachant à une famille et la poursuivant sans relâche, rendant malades les uns, fous les autres, quand on n’en mourait pas de peur.
L’incarnation la plus populaire de ce redoutable ennemi était connue sous le nom de Bête à Blaisot, chèvre par la tête et loup par le corps ; elle se tenait d’ordinaire le long des ruisseaux, près des planches qui servaient de passerelles ; elle accompagnait silencieusement le voyageur attardé, en grossissant à vue d’œil et démesurément.
Ce monstre prenait parfois l’apparence d’un loup de haute taille, à poil fauve, efflanqué, avec des yeux de braise, une gueule démesurée et une « langue pleine de sang ». Il apparut une fois en cet état à un garde dans le bois de « Mont-Loing » et lui parla : dès le lendemain l’homme laissa sa garderie ; il tomba dangereusement malade, et fut affecté toute sa vie d’un grand tremblement. On prétend que lorsque la femme de ce garde « voulut mourir » l’affreuse bête apparut à l’homme qui alla quérir le médecin, et qu’elle ne cessa de rôder pendant toute l’agonie de la pauvre femme.
La Bête du Morvan était-elle un châtiment ?
Des jeunes gens la virent une fois sur le Haut-des-Chaumet où elle aimait à errer la nuit. Les gars s’avancèrent bravement, mais elle se changea tout de suite en un honnête chien courant, braconnant pour son propre compte6.
Depuis l’aventure du garde, les chasseurs avisés et prudents ne manquaient jamais de se munir de quelques balles bénites ; ils pouvaient alors chasser sans crainte : la bête connaissait ce détail et n’approchait point. Les chapelets et les scapulaires produisaient le même effet, comme aussi cette formule très répandue, trouvée spontanément dans un grand péril : « Ch’teu l’Bon Dieu, cause ; Ch’teu l’Diabe, pesse. (Si tu es le Bon dieu, parle ; si tu es le Diable, passe). On y avait ajouté dans la suite un signe de croix très grand. »

C’est une légende simple comme il doit en exister dans toutes les régions rurales de France et d’ailleurs. Mais, comme dans ces autres lieux, elle est basée sur une peur réelle de la population pour un danger bien concret. Et finalement, qu’importe si la majorité des attaques recensées ont eu lieu à 30 ou même 50 kilomètres de là : la menace était identique, peut-être même pire, dans ces forêts difficiles d’accès. Rendez-vous compte tout de même du nombre d’attaques rapportées dans une même zone géographique et pour une période d’environ 80 ans… Et, j’insiste, uniquement en se basant sur des archives à notre disposition. Les gens se sentaient probablement dans une forme d’insécurité permanente et de peur de tomber face à des loups… Alors saupoudrez tout ça se superstitions religieuses et ça vous donne une population durablement traumatisée, prête à imaginer des entités démoniaques qui les attendent à chaque croisement.

Cependant… Le temps a passé, nous connaissons maintenant bien mieux les animaux et leurs comportements. Continuer à les traiter comme des « monstres assoiffés de sang » n’a plus aucun sens.

…N’est-ce pas ?


Le prédateur moderne

Maintenant, j’aimerais m’attarder un peu sur les faits plus récents, et attribués aux loups depuis qu’ils sont de retour dans la région. Parce que la première chose à noter, c’est qu’il n’y a plus eu d’attaque de loups sur les humains recensées depuis le début du 20ème siècle (je ne compte pas une personne qui va jogger dans un enclos de parc zoologique contenant des loups comme une attaque « naturelle », bien évidemment). Ce qui fait maintenant les gros titres sensationnels ce sont les attaques sur les troupeaux, et les éleveurs qui demandent des sous, et de tuer des loups7. Et des ours. Et des lynx. Et des renards, un peu. Et pourquoi pas des blaireaux. Et des belettes. Et… Fiou. Il y a des gens à qui il ne faut pas confier un Death Note, iels seraient capable de causer une extinction de masse dans les 10 minutes. Je suis contente de ne pas vivre dans leurs têtes.

Vous le savez peut-être (je pense que oui), je suis une anti-chasse acharnée. Alors j’ai vraiment du mal à accepter de voir ce discours du « bouuh le loup tue nos moutooons » servir de prétextes pour chasser un animal qu’on a déjà éradiqué une fois. D’ailleurs, il faudrait aussi passer un peu de temps sur les rares chiffres qu’on nous soumet. Par exemple, un site tooootalement objectif qui s’appelle « Les éleveurs face aux prédateurs » (TINDINDIIIN musique angoissante) nous annonce que le loup fait « plus de 12 000 victimes par ans ». Oui, bon, c’est pas clair dans le titre mais ne cachez pas vos enfants, on parle bien d’animaux d’élevage. Mais dites-moi, c’est un bien gros chiffre ça, 12 000 animaux d’élevage tués ! Par les loups, hein, les millions qu’on tue pour manger c’est, heu, différent. Ok. Donc regardons plus en détail ce chiffre, en restant sur ce site que je sens vraiment d’une objectivité à toute épreuve : « En 2022, le bilan officiel indique que le nombre d’attaques de loup recensées sont estimés à 3 848 sur 53 départements, causant environ 11 616 bêtes tuées sur l’année. Pour l’année 2023, le bilan annuel n’est pas encore établi mais en date du 30 septembre, 3 114 attaques avaient déjà été constatées, ayant engendré 8 590 animaux tués. » Déjà, même sans être une pro des maths je sais que 11616<12000. Donc non, pas « plus de 12000 victime par an ». Je chipote, mais je suis chez moi et je fais ce que je veux.

Mais soit, j’accepte. Imaginons que les loups, et rien que les loups, tuent bel et bien 12000 animaux d’élevage par an. L’ASPAS nous dit  » En 2021, 7 millions d’ovins ont été élevés. Cette même année, 11 616 ovins ont été victimes des loups, soit 0,16 % du cheptel français, tandis que 5 millions ont été victimes des abattoirs, soit 71 % du cheptel français. »

On va ignorer le tacle sur les abattoirs, je viens de le faire bande de copieureuses par anticipation. Mais par ailleurs, on peut tout de même admettre que laisser 0,16% du cheptel à la biodiversité ne serait pas si déconnant. Bien évidemment, je reste ici dans une logique d’exploitation dégueulasse, hein, je ne dis pas qu’il faut élever des moutons pour les donner aux loups, non, si on me demande je dirais que le mieux est de ne plus élever de moutons. Ce que je tente ici, c’est de poursuivre leur logique jusqu’au bout. Et jusque là, les chiffres ne me font pas hurler de terreur.

L’association Ferus nous dit aussi, dans sa plaquette « Cap-Loup : pour en finir avec les contre-vérités sur le pastoralisme et sur la chasse » : Le total de pertes annuelles attribuées au « loup non exclu » est d’environ 11 000 ovins par an. Ceci représente 0,15% du cheptel français et moins de 1% du cheptel présent dans les secteurs concernés. Et la mortalité hors loup est 10 fois supérieure ! Maladies, problèmes d’agnelage, accidents en estive… » Et plus bas, iels ajoutent malicieusement « Environ 500 000 ovins sont envoyés à l’équarrissage ! Oui, ce nombre gigantesque de moutons qui
n’entrent pas dans le circuit de consommation est tout simplement détruit, incinéré. » C’est un point intéressant. En tout cas, on constate que sur la totalité des animaux d’élevage qui meurent avant qu’on leur en donne l’autorisation (petits chenapans), très peu sont victimes de prédation.

Mais d’ailleurs, ça veut dire quoi « loup non exclu » ? Que voilà une question intéressante. Revenons à nos 12000 animaux tués, et cherchons de quoi il s’agit… Allez, je vous la fait courte : ce sont les déclarations faites par les éleveureuses pour obtenir une indemnisation. Ce sont donc des coupables « possibles » avant enquête. La présomption d’innocence ne fonctionne que pour les prédateurs humains, de toute évidence.

Tant qu’on en parle, je ne sais pas si vous avez déjà essayé de trouver des statistiques fiables sur les attaques de loups sur les troupeaux en France, mais c’est pas simple. Les chiffres donnés sont toujours ceux des éleveureuses et des chasseureuses : les déclarations. On n’a pas tellement de visibilité sur les enquêtes une fois qu’elles sont traitées, et combien d’attaques sont officiellement, au bout du compte, déclarées « loup non exclu ». Ce qui ne veut pas dire « c’est un loup », ça veut dire « on ne peut pas prouver que ça n’en est pas un », la différence est énorme. Il est également intéressant de constater que la France se classe très haut en terme de ration nombre de loups/victimes, au point d’être suspecte. Les instances compétentes, trop empressées de soutenir les éleveureuses et les chasseureuses ne se donnent pas la peine de réellement chercher les coupables des attaques, nous privant ainsi d’une visibilité bienvenue. On retrouve cependant, toujours chez Ferus, une statistique intéressante bien que datant de 2015 : à l’époque, sur un effectif estimé de 275 loups sur le territoire français8, on rapportait 6195 attaques de loups, soit un ratio de 22.5 entre le nombre de pertes et le nombre de loups. Balancé comme ça, c’est abstrait, je vous conseille donc d’aller lire la brochure pour constater que, à part la Norvège qui serait un cas d’étude passionnant à prendre à part, la France est devant… Tout le monde. Genre. Le loup français a vachement plus faim que les autres, écoutez, on est comme ça en France, on aime bien manger. Ou alors, il se passe autre chose de moins avouable dans notre pays, et il serait intéressant d’en parler. Fraude, évidemment, mais aussi proximité idéologique avec la chasse, ou simplement méchant de dessin animé qui déteste tout ce qui représente la nature, les options sont infinies.

Mais bref, voilà que je me lance sur un sujet interminable et est temps de recentrer le débat sur là où je voulais en venir : les mystérieuses attaques de « bêtes » dans le Morvan et la Nièvre en général. C’est un problème connu, qui se produit régulièrement et sans discontinuer depuis la disparition des loups.

Gros titre d'un article du journal "le JSL", disant "On cherche toujours la bête du Morvan". En dessous, il est question d'attaques sur des troupeaux de brebis en 2013.

Quel étrange phénomène, n’est-ce pas ! Comment est-ce donc possible ? Une bête fantastique hanterait réellement la région ? Hé bien… non. Quand j’étais petite, j’ai entendu plusieurs fois l’annonce d’un troupeau décimé par des bêtes. Et ces bêtes, vous l’aurez deviné, c’étaient les chiens. Il n’y avait pas de loups à accuser, alors ça faisait beaucoup moins de bruit (d’autant que, chez moi, c’était les chiens tout à fait connus d’un « notable » local, alors j’imagine qu’il dédommageait directement les éleveureuses…) Et pourtant, malgré l’évidence, la menace d’un loup encore absent planait déjà. Ou même, carrément, d’un monstre. Parfois, quand la cause de l’attaque était un peu floue, on parlait à demi-mot de « bêtes », ou on se regardait d’un air entendu en disant « oui, des chiens hein ! ».

Dans ces régions un peu oubliées, où la mémoire vivante des « bêtes tueuses » n’est pas si loin, le doute plane toujours et, il faut bien le dire, on aime imaginer des bêtes fantastiques dévoreuses de moutons et, pourquoi pas, de petits enfants imprudents.

Je n’ai jamais eu peur des loups, personne de vivant.e et né.e en France n’a, je crois, connu cette époque où on pouvait réellement craindre pour sa vie à cause des prédateurs sauvages. Par contre j’ai eu peur de ces chiens en vadrouille… Quand il faut prendre le chemin de l’école primaire, seule, et marcher dans un village désert en sachant qu’à quelques mètres de là tout un troupeau a été égorgé la veille, ça fait authentiquement peur. On ne pense pas à des contes fantastiques et un peu abstraits, on a peur de mâchoires canines et de grosses dents. Ces trajets, quand je savais les chiens dans le coin, étaient très longs et fatigants tellement j’étais aux aguets. Peut-être que si j’étais née deux siècles plus tôt, j’aurais eu moi aussi peur des loups, ou de la Bête du Morvan… Peut-être que cette peur qui m’animait était une peur nichée dans mes gênes, prête à ressurgir à l’évocation même déformée par le temps et la sélection humaine d’une forme dérivée de « méchant loup ».

Ce qui est sûr, c’est que suis passionnée par ce rapport qu’on peut avoir avec des animaux qui sont, pourtant, globalement sans dangers si on prend les précautions adéquates, et je m’interroge souvent sur le fait qu’ils fassent malgré tout instinctivement davantage peur que l’animal le plus dangereux de la planète, sans le moindre doute possible : l’humain.

Alors je suis tout à fait pour qu’on continue à rêver de créatures fantastiques, ce dont je ne me prive pas, j’écris même quelque chose sur le sujet pour être honnête… Le pouvoir de l’imagination, c’est ce qu’on a de meilleur si il est bien utilisé. Mais le plus important c’est de comprendre le monde autour de nous et ses habitants, afin de mettre tout en œuvre pour les protéger de nous.

Très ancienne illustration de la bête du Gévaudan. Au premier plan, on voit une sorte de loup assis, dominant le corps d'un homme. Dans le fond, plusieurs scènes où l'on voit le loup à l’œuvre, ou en train de se faire chasser.
Gravure concernant la bête du Gévaudan et ses ravages

Merci infiniment d’être encore là, ça me faut chaud au cœur ! J’espère que vous avez pris du plaisir à découvrir ces évènements locaux étranges-z-et-mystérieux, même si ça n’est qu’un article de blog perso sans prétention 💜 Si vous trouvez des coquilles, n’hésitez pas à me les signaler, j’ai passé bien trop de temps à écrire et je suis actuellement incapable de me relire dans de bonnes conditions, c’est abominable.


1 : Je suis persuadée que, dans certains cas, les « bêtes » sont tout à fait humaines, quoi qu’on en dise, et que la présence de loups dans un lieu est tout à fait pratique pour se débarrasser d’un corps encombrant. Je ne mets pas en cause les attaques d’animaux sauvages dans leur globalité à une époque reculée et dans des endroits sauvage, mais c’est parfois un peu suspicieux.

2 : J’attire votre attention sur ce témoignage qui me fait étrangement beaucoup rire : « Neuffontaines – 31 janvier 1919 […]
Nous ne sommes pourtant plus aux temps reculés où les loups venaient en bandes infester nos campagnes ; malgré cela nous avons eu, ces jours derniers, l’agréable visite de l’un d’eux : un loup tout-à-fait authentique, avec longue queue, oreilles courtes et droites comme les moustaches à Guillaume, et des dents… ô mes amis ! Et sa visite n’a pas été une simple visite de courtoisie, témoin la jolie brebis qui paissait tranquillement aux abords du village de Chitry, et à laquelle la méchante bête a dévoré une épaule. Des chasseurs courageux se sont mis aussitôt à la poursuite de l’animal, mais toutes leurs recherches furent vaines et il est à craindre que d’ici quelques jours d’autres victimes ne tombent sous ses crocs ! Pourvu que ce loup ne soit pas un loup de Russie… car, par ces temps de bolchevisme, les loups de ce pays-là doivent être fort méchants. »

3 : J’avoue trouver étonnant de trouver des morceaux de crâne avec des cheveux dans un estomac de loup, quand même. Si il y a des spécialistes dans la salle, donnez moi votre avis !

4 : Je n’ai pas encore lu tout le livre, donc ça n’est pas une recommandation, juste une source.

5 : Encore dans le même livre, Jean-Marc Moriceau propose un tableau de données qui montre que les mois comptant le plus d’attaques sont Juin et Juillet, et les mois les moins propices aux attaques sont Janvier et Février. Contre-intuitif quand on connaît la plupart des contes pour enfants impliquant des loups !

6 : M’est avis que les « gars » avaient un peu picolé et que c’était un doggo all along, mais ça n’engage que moi.

7 : Ce qui est, permettez moi l’expression, une belle connerie. Déjà, bien évidemment, pour la bonne santé de la biodiversité nous avons besoin de grands prédateurs. Ils sont indispensables, ça ne supporte aucune contradiction. D’autre part, des études tendent à démontrer que tuez des loups augmente le nombre d’attaque sur les troupeaux. Bon, je ne retrouve plus la source, c’était une étude de 2015 menée aux USA de mémoire, qui indiquait que plus on tuait de loups dans un groupe donné, plus les loups attaquaient les animaux d’élevage. J’en trouve une trace sur le site de Reporterre (dézo… Je changerais si je retrouve cette foutue étude, et attention avant de cliquer il y a des photos de loups morts). Pour résumer, le loup est un animal social qui s’organise en meute, donc si on enlève des éléments de cette meute, le groupe et évidemment désorganisé et se rabat sur des proies plus faciles d’accès. Quand on en arrive à ce stade, l’ultime « solution » est donc l’éradication. Tout un programme…

8 : Le chiffre aurait été multiplié par 10 en 10 ans. Mais un comptage précis est plus ou moins impossible, alors c’est un peu flou.



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Catégories


Archives