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CW : la guerre, obviously.
On aime bien parler des Résistants, dans notre pays. On en est fièrEs. Et il y a de quoi ! D’ailleurs, à bien écouter, on pourrait croire que toutes les familles ont comporté au moins unE membre de la Résistance (j’utilise de l’inclusif, même si on ne semble parler, le plus souvent, que des hommes). C’est intrigant, ça. Quand même. Tellement de familles de RésistantEs, et pourtant tellement de collabos.
Moi aussi, j’ai eu un arrière-grand-père Résistant, d’après le récit familial. Là où j’ai eu de la chance, c’est que je l’ai connu suffisamment longtemps pour avoir une image nette de lui. Un homme solidement bâti, avec son éternelle casquette de tweed vissée sur la tête. Il parlait peu et aimait la pêche, et j’étais souvent de surveillance du seau de poissons. Ne me jugez pas, j’étais vraiment minuscule, je ne me rendais pas compte.
La vie ne lui aura pas laissé le temps de fêter son siècle. Et moi, je n’étais pas assez grande pour pouvoir lui poser les mille questions que j’aurais envie de lui poser maintenant. Le peu que je savais au début de cette recherche, je l’ai su des légendes familiales. Mais j’ai déjà eu l’occasion de me rendre compte que cette famille avait une légère tendance à, disons, imaginer de jolis contes.
J’ai donc tout jeté dans un coin de ma tête avec une bâche par-dessus, et repris les choses à zéro grâce à un indice : un numéro de matricule. C’est peu, d’ailleurs ça ne m’a pas aidé concernant une recherche sur un autre membre de ma famille, les archives n’étant pas en ligne. Mais là, j’ai eu de la chance : les administrations sont mieux tenues autour de la capitale, en l’occurrence à Versailles. C’est là-bas qu’il s’est engagé de lui-même dans sa jeunesse, avant de rejoindre la marine.
C’est avec une certaine émotion que j’ai pu lire son dossier, et qu’une partie de la légende familiale a été validée : « fait prisonnier à…. ». En effet, on m’en avait beaucoup parlé.

Forte de cette information, je me suis lancée dans la lecture des registres de prisonniers, et là, rien. Aucune information, malgré la preuve évidente. J’imagine que je suis naïve, mais avec le bourrage de crâne qu’on nous fait depuis la petite enfance sur la Seconde Guerre mondiale, je croyais les archives plus… Complètes. Ç’aura été ma première source d’étonnement dans cette sorte d’enquête : j’étais vraiment persuadée qu’on pouvait retracer facilement le parcours des prisonniers de guerre. Mais moi, je n’avais que cette fiche (et, encore une fois, je m’en estime heureuse, d’autres n’ont pas cette chance). L’enquête a donc été fastidieuse.
Lors de mes recherches, je suis tombée sur deux livres écrits spécifiquement sur la question des prisonniers de la seconde guerre mondiale dans la Nièvre. C’est très niche, j’en conviens, mais j’espérais mieux comprendre la situation locale. Et j’ai découvert bien plus, c’est pour ça que j’ai eu envie d’en parler.
Pour finir rapidement sur mon histoire familiale, j’ai pu comprendre que mon arrière-grand-père avait été effectivement fait prisonnier en juin 1940, et qu’il avait été envoyé aux travaux agricoles (ce qui se faisait beaucoup au début de la guerre, dans les camps de prisonniers français). Suite à de nombreuses évasions, le système étant très poreux, les Allemands ont fermé plusieurs camps pour regrouper les prisonniers et envoyer certains occupants en Allemagne. C’est donc juste avant cela que mon aïeul s’est évadé. Il n’a jamais été rattrapé, et, communiste convaincu, c’est investi dans la Résistance à sa petite échelle jusqu’à la fin de la guerre. Et oui, le gauchisme court dans les gênes, que voulez-vous que je vous dise.
Avant d’en revenir au livre, j’ai envie de parler un peu de mon rapport avec cette fameuse guerre. Je parlais plus haut de bourrage de crâne, mais c’est réellement ce que j’ai vécu quand j’étais petite. J’ai eu l’impression que le programme scolaire d’histoire, de la primaire au lycée, était constitué à 80% d’informations sur cette guerre. J’ai vu des images terribles alors que j’étais vraiment petite (des photos prises à la libération des camps de la mort, vous voyez le type d’images, alors que j’étais encore en primaire… C’était TROP TÔT.), et c’était le sujet principal environ… tout le temps. Loin de me faire m’y intéresser ou ressentir les émotions qu’on tentait visiblement de faire naître chez moi, j’ai fait un blocage : aucune envie d’en entendre parler, stop, je ne voulais plus RIEN savoir. On m’a rendue en quelque sorte insensible aux horreurs de la guerre à force de me forcer à mettre le nez dedans. (Petit aparté : je sais que ça n’est pas supposé être l’élément majeur du programme d’histoire tout au long de notre scolarité, mais pour moi ça a été le cas dès la primaire, j’imagine que les profs avaient le champ libre pour faire ce qu’iels voulaient dans une certaine mesure…)
J’aimais l’histoire, en plus. Hélas, comme pour beaucoup de choses, j’ai dû attendre de sortir du système scolaire pour pouvoir enfin découvrir des choses plus intéressantes qu’une liste de dates et la grosse branlette de Napoléon (ça aussi c’était TROP.).
C’est une période qui me repousse toujours instinctivement, d’ailleurs, mais j’en suis venue à m’y pencher « grâce » à notre situation politique depuis quelques années, et petit à petit j’ai réussi à y trouver un peu d’intérêt (notamment via l’histoire familiale, comme vous pouvez le constater).
Si je dis tout ça, c’est aussi pour parler de l’image qu’on a, collectivement, de cette guerre, à cause de la manière dont on l’aborde le plus souvent. Une guerre « blanche », entre blancs. On ne voit que ça. Marginalement, on parle des soldats Noirs américains, mais c’est vraiment une part infime du narratif. Au risque de sembler naïve, je ne m’étais jamais posé la question des soldats non-blancs dans les rangs français, ou des soldats issus des colonies. En lisant ces livres j’ai eu l’impression de découvrir un monde qu’on m’avait caché. Je n’en avais littéralement jamais entendu parler, et pourtant je vous conseille d’aller jeter un œil aux listes des détenus dans les camps de prisonniers allemands (les listes, bien qu’incomplètes comme je l’ai dit, sont en ligne sur le site de Gallica). Les patronymes sont éloquents.
Il y en avait beaucoup. Des milliers de prisonniers issus des colonies françaises, d’Afrique ou d’Asie1. Des gens qui, bien plus que les français de la métropole, étaient loins de celleux qu’ils aimaient. C’est une solitude difficile à imaginer, et rien que l’effleurer me brise le cœur. Et pourtant, ces gens ont été plus ou moins balayé de l’histoire.
Alors oui, j’imagine que des spécialistes de la période pourront me dire « mais enfin pas du tout, c’est un fait connu ». Il l’est peut-être dans une certaine mesure, mais il ne l’est en tout cas pas pour la majorité de la population. On ne m’en a jamais parlé à l’école, on ne m’en a jamais parlé dans la littérature, on ne m’en a jamais parlé dans les films (même si ok, je plaide coupable d’avoir beaucoup esquivé le sujet, encore une fois). Je n’ai jamais connu de représentation de ces gens, qui ont pourtant été tués plus « facilement » que les prisonniers blancs (il est question du racisme des soldats du Reich dans le livre, et de quelques anecdotes précises où des gens ont été maltraités ou tués par pure haine, là où les soldats blancs étaient en général « uniquement » retenus prisonniers dans les camps français de prisonniers de guerre) (je ne parle pas de ce qui est arrivé ensuite dans les camps de concentration, bien évidemment).

Le pire, c’est que des hommages ont parfois été rendus localement à ces soldats, « morts pour la France » comme les autres. Seulement, l’hommage a parfois été maladroit. Ainsi, une stèle érigée à La Machine pour honorer la mémoire de trois soldats (présentés comme « Sénégalais », je ne sais pas si c’est leur véritable origine, ou simplement utilisé comme terme générique pour les soldats Noirs…). Seulement, ils sont simplement présentés comme « soldats français ». J’imagine que l’intention était bonne : à ce moment, ils étaient français, et il ne fallait pas faire de distinction entre les origines des soldats. C’est bien, vraiment, j’approuve la démarche. Mais ce faisant, leur origine a été oubliée et je doute que les gens qui passent devant ce monument de nos jours sachent qu’on parle de soldats qui venaient des colonies. C’est… Tellement dommage. Seul le croquis du projet mentionne cette spécificité.
L’Histoire, comme toujours et parfois même malgré elle, efface les populations colonisées.

Dans le second livre, il est également question de ces soldats qui ont participé à la Résistance. Là encore, ils ont été oubliés. Et pire, un article sorti le 26 septembre 1944 dans « Le Patriote » (oui, bon, le mot a un peu perdu de son sens) fait état des insultes racistes adressées à ces résistants. L’article les dénonce comme étant, bien naturellement, « inadmissibles ». Je ne citerais pas les insultes en question, elles n’ont pas tellement changé depuis. En lisant ce morceau d’article, je ne pouvais pas m’empêcher de penser aux gens qui, voyant un homme loin de chez lui depuis des années, qui participe à la Résistance, avaient pour premier réflexe de lui envoyer une insulte raciste. Même avec presque un siècle d’écart, c’est dur de garder son calme…
Bref.
Personnellement, je me fous des hommages. Ça ne fait pas revenir les morts. Mais je trouve important de ne pas les oublier, on sait trop à quel point certains aiment refaçonner l’histoire en oubliant les parties qui les dérangent par idéologie… Et même sans ça, réaliser à quel point j’avais une vision « blanche » de cette guerre m’a perturbée. Il y a tant à déconstruire…
Et voilà, encore un article qui part d’un point précis pour finir à l’opposé. Mais bon, j’avais vraiment envie de parler de tout ça, et comme je ne vais pas parler très souvent de la guerre c’est l’occasion de faire un petit paquet et de dire tout ce que j’avais envie de dire. Finalement, être antifa pour moi c’est aussi un genre d’hommage à « grand-pépère », encore une bonne raison d’en être fière ! Allez, si on retourne dans le maquis, je m’occuperais de tricoter des chaussettes à tout le monde ! Quoi, « pas à l’ordre du jour » ? J’aime mieux être préparée, voilà tout. Donnez moi vos pointures, merci.
Si vous avez envie d’en savoir plus sur ce sujet hyper spécifique, vous pouvez aussi lire les livres de Michaël Boudard, « La Nièvre Et Ses Prisonniers De Guerre » volume 1 et volume 2.

1 : je n’ai plus les chiffres, mais j’ai un exemple du Frontstalag 154 en 1940 qui indiquait 1 soldat métropolitain pour 9 soldats des colonies. C’est MASSIF.
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