Gravure ancienne montrant l'entrée d'un terrier.

Dans la catiche

La face mal cachée de la Loutre


Les anecdotes, #1 : Le mini-stalker

Temps de lecture estimé : 6 minutes
(CW malaise diffus, réminiscences de type stalking)

Je me targue d’avoir une mémoire du genre solide. A dire vrai, je suis un peu le pense-bête du foyer, à tel point que quand on veut se souvenir de quelque chose il suffit parfois de se tourner vers moi et je déroule toute l’histoire de A à Z. Mon point faible, c’est les dates (et parfois les noms des célébrités).

Cette histoire commence le premier jour de lycée (le début de l’enfer, mais ça n’est pas une histoire pour ici ni maintenant). Je ne connaissais personne, ou plutôt si mais ces gens n’avaient pas envie de me connaître, donc j’ai passé quelques temps seule dans les couloirs, avec mon baladeur CD vissé aux oreilles (si vous ne savez pas ce que c’est, hé bien… Bravo, vous êtes jeune, ça va quoi, pas de quoi se vanter hein !).

Après quelques jours, soudainement, « il » se plante devant moi. Littéralement, il a déboulé de je ne sais où, avec sa tête de moins que moi, à lever le museau en m’appelant par mon prénom. Un inconnu total, qui me parle comme si nous étions de vieilles connaissance. « Mais siii, Machin ! On se connaissait quand tu vivais à Truc ! » Profonde perplexité. Je le regarde, je retourne ma mémoire mais vraiment, le néant. Je me souviens cependant que j’avais moins de 4 ans quand je vivais à Truc. C’est à cause de la maladie qu’on est partis, et c’est là que commence mon ptsd. Je ne l’identifiais pas comme tel au lycée, mais je savais déjà que le trauma avait « effacé » mes plus vieux souvenirs. Pas tous, parce que ma mémoire est encore une fois du genre solide (hélas, parfois), et j’ai des souvenirs vraiment très anciens. Mais quand même, ça me dérange. D’autant qu’il me parle vraiment comme à une vieille pote, relatant des anecdotes super précises dont je n’ai, une fois encore, aucune traces sur mon SSD mental. Est-ce que le trauma peut vraiment expliquer ce vide, au point de n’avoir vraiment AUCUNE idée de la personne qui prétend me connaître à ce point ?

Je l’ai un peu envoyé sur les roses, gentiment, en lui disant que je ne savais pas de quoi il parlait. Il a insisté un peu, jusqu’à ce que je parvienne à m’échapper en prétextant des trucs à réviser.

Le soir même, je raconte ça à ma mère qui me confirme en effet que c’est vrai, qu’elle l’avait gardé plusieurs fois quand on avait environ un an. Alors je ne suis pas une spécialiste de la mémoire, mais un an ça me semble tôt pour se souvenir autant de quelqu’un… Surtout avec autant de détails.

Le lendemain, il revient, de nouveau il se plante devant moi comme un panneau stop qui aurait mal tourné, et je lui relate mes découvertes, insistant sur le fait que je n’ai aucun souvenir. Et il me dit que c’est sa maman qui lui a raconté (ouf, un peu de logique dans cette histoire), qu’elle lui a beaucoup parlé de moi… Bref, je ne saurais pas expliquer pourquoi mais plus il parlait, plus je me sentais mal. Pourquoi sa mère lui aurait autant parlé de moi ? En plus il me regardait par dessous ses lunettes, toujours, mais comme il était plutôt petit il levait très haut le nez et c’était… Un peu malaisant. C’est pas un jugement, juste qu’à ce moment et dans ce contexte, absolument ~tout~ chez lui me semblait bizarre et un peu inquiétant. Alors j’ai fait ce que toute personne courageuse aurait fait… Rien. Je l’ai laissé me poursuivre comme un jeune chiot dans les couloirs, en l’ignorant de mon mieux, en tentant de lui faire comprendre très maladroitement que j’aimerais qu’il me laisse, non vraiment monsieur il faut circuler là, vous gênez la dame.

Bref. Le manège s’est poursuivi un temps, chaque jour apportant son lot de malaise.

Et puis un jour… Sa mère téléphone. Elle avait cherché notre numéro dans l’annuaire, je suppose, et elle téléphonait pour me parler, ainsi qu’à ma mère. J’ai bien vu que ma mère n’était pas super à l’aise, mais elle a habilement donné le change. Quand ça a été mon tour… Je ne savais vraiment pas quoi faire. Elle me complimentait énormément, se réjouissant que son fils ait retrouvé une vieille amie, ce genre de chose. Alors je bafouillais des « ahah oui, merci, ahah » et j’avais envie de me cacher sous un meuble.

Tous les voyants d’alarme clignotaient dans ma tête, c’était TROP. Beauuucoup trop. Je me sentais prise au piège dans une situation que je n’avais vraiiiment pas souhaitée, à devoir me coltiner un mec qui me mettait vraiment mais alors VRAIMENT pas bien. Pendant la nuit, alors que je ruminais, quelque chose a craqué en moi. Je suis arrivée au lycée en colère, je lui ai dit que j’ignorais ce qu’il avait raconté à sa mère mais que c’était la dernière fois qu’il me faisait un plan comme ça. Je ne sais plus si je lui ai demandé de me foutre la paix, mais je crois bien que oui et, cette fois, le message est passé. Il a juste… Disparu. Je suppose qu’il était toujours dans l’établissement, mais je ne l’ai plus vu, comme un fantôme. Et j’avais des problèmes bien plus importants à gérer.

Avec du recul, je réalise qu’il y a plusieurs très bonnes raisons qui peuvent expliquer son comportement. Il était probablement aussi seul que je l’étais (il était un peu bizarre avec tout le monde), il n’était aussi sans doute pas franchement neurotypique, ou même peut-être qu’il avait crushé sur moi et que l’idée de nous connaître depuis bébés avait réveillé sa fibre romantique autant que donné un moyen de m’aborder (rigolez pas, ça arrivait souvent quand j’étais jeune, de façon incompréhensible). Du coup, perdue que j’étais dans mes propres problèmes je l’ai sans doute blessé sans le vouloir. Je n’étais (et ne suis) pas parfaite, il y a hélas trop de choses qu’on comprend trop tard. Mais il était tellement gênant, c’était vraiment horrible.

Mais en fait, à bien y penser avec mon cerveau de grande fille adulte, ce que je comprends le moins c’est le comportement de sa mère. Pourquoi avoir fait à ce point vivre ces souvenirs auprès de son enfants ? Je veux dire, admettons qu’elle lui ai raconté les anecdotes en apprenant qu’on fréquentait le même lycée, COMMENT elle a su que c’était le cas alors que nous n’étions même pas dans la même classe, et qu’on avait environ aucune raison de se croiser ? C’est forcément lui qui lui a dit, et dans ce cas c’est forcément qu’il m’a reconnue… Enfin je sais pas, j’ai toujours trouvé ça extrêmement… Creepy. Et ça reste dans ma mémoire comme une sorte de stalking mère-fils vachement dérangeant.

J’espère cependant qu’il est plus heureux maintenant qu’à l’époque, parce que même sans l’avoir jamais revu, je suppose qu’il a aussi passé un très mauvais moment.



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