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CW drague super flippante
Quand des femmes se plaignent de harcèlement ou de remarques déplacées, il y a toujours des hommes pour dire « si il avait été mignon, ça t’aurait pas dérangé HEIIIIN », persuadés d’avoir plié le game en quatre et de l’avoir rangé dans le tiroir approprié. Bien sûr, on ne va pas s’étendre sur le fait que c’est totalement absurde, la question centrale n’étant absolument pas le physique du harceleur mais bien le harcèlement en lui-même.
Mais figurez-vous que ça m’a rappelé une anecdote. Hé oui, c’est l’heure d’une histoire du grand livre « la jeunesse de Mère Loutre » ! Prenez un petit strapontin, ça va se passer sur les rails.
Il y a bien longtemps, je prenais le train très régulièrement (un long trajet entre Nice et Laroche-Migennes). Il y aurait beaucoup de chose à dire de cette époque, comme la fois où ma place se situait près de la porte et qu’un employé de la gare m’a repérée, et a ensuite fait passer le mot à un collègue, puis un autre. Je pense qu’ils n’avaient jamais vu de collier à clous et de pull troué, je sais pas, en tout cas c’était vraiment plaisant d’être l’attraction du jour (/sarcasme). Mais aujourd’hui, je vais vous parler de quelque chose d’un peu plus sérieux : une fois où j’ai cru que j’allais faire les gros titres dans la rubrique « faits divers ».
C’était la fin du trajet, et si vous connaissez l’Yonne vous savez que c’est, disons, peu peuplé (et je vivais plutôt loin de là, dans le département voisin… C’était juste la plus grosse gare de la région). Un terminus à Laroche-Migennes, le soir, c’est une expérience de douce solitude que je vous conseille… Ou pas, d’ailleurs, en tant que meuf c’est toujours un peu compliqué de profiter de la solitude, même si on adore ça. Ce jour là, pour la première et dernière fois de ma vie, je suis tombée sur une vieille rame avec des petits compartiments séparés : chaque box avait 6 ou 8 sièges, je ne sais plus, mais j’ai supposé que c’était des anciens wagons-lits reconvertis. Quand je suis montée chercher ma place, il n’y avait absolument personne dans cette rame, j’ai donc choisi un box proche de la porte, tant qu’à faire. Je me voyais déjà vivre le meilleur trajet en train de ma vie, telle une héroïne du 19ème siècle découvrant le monde à bord de l’Orient Express, et regardant défiler le paysage campagnard et pensant à un poème épique.
Erreur.
Il est entré alors que le train avançait depuis quelques secondes. Un jeune homme franchement canon, fin mais avec juste ce qu’il fallait de muscles, au regard perçant et aux cheveux bruns qui lui tombaient sur les épaules. Chacun.e ses goûts, certes, mais il était pile dans les miens (et probablement pas que les miens).
Sauf que bon.
Déjà, je n’étais pas célibataire, c’était bien la raison de ces voyages en train. Et surtout, j’étais une meuf seule dans un train quasi vide, le soir. Pire encore, dans un box fermé. Et ce type, malgré les nombreuses options à sa disposition, avait choisi de rentrer dans CE box. Je pense n’étonner personne (et surtout pas les autres femmes qui me lisent) en disant qu’après un petit coup d’œil d’appréciation de rigueur, j’ai switché immédiatement en mode inquiétude.
Il s’est assis en face de moi, et a commencé à lancer la conversation. Couper la musique, ou la laisser ? La couper, évidemment. Pour les raisons précédemment évoquées, je n’avais aucune envie de prendre le moindre risque de le froisser. Alors je réponds, poliment mais froidement. J’essaie de faire passer le message que je ne suis pas intéressée, et de mettre de la distance sans toutefois le mettre de travers. J’étais vraiment jeune, et mon éveil féministe viendrait bien plus tard. Cela dit, je pense que même maintenant je prendrais les mêmes précautions… On sait, instinctivement.
Il est poli, aimable, presque correct et tout va bien. Mais je marche vraiment sur des œufs, totalement à l’écoute des bruits de la rame en espérant entendre d’autres personnes. Il est de plus en plus intrusif, pose des questions très orientées, et je commence à me demander si il ne va pas avoir une très mauvaise idée à force de se chauffer tout seul malgré mes réponses minimalistes. Et finalement, un miracle ! Il décide de se lever pour faire je ne sais plus quoi, ce qui me permet d’expirer longuement de soulagement une fois la porte du box refermée derrière lui. J’ai la tête qui tourne un peu, je sens que je déréalise (PTSD, toi-même tu sais), et je regarde l’heure. C’est lent, très lent, il ne s’est passé que très peu de temps. J’essaie de rire de ma paranoïa et de prendre un bouquin. Franchement, hein, quelle imagination débordante !
Mais. Ouais, c’était trop facile.
Il revient. Cette fois, il s’installe à côté de moi. Cette fois, donc, je suis officiellement en mode panique et je commence à envisager sérieusement que je vais vivre un très mauvais moment. Il tente de reprendre la conversation, je réponds automatiquement mais je coupe le plus court possible, et je laisse de longs blancs avant mes réponses. Il tente quelques compliments, et chaque mot qui sort de sa bouche me rappelle que je suis TOUTE SEULE DANS CETTE FOUTUE RAME. J’ai l’impression d’être électrique, je ressens chaque mouvement avec une intensité disproportionnée, et lui garde son attitude calme et détendue de mec sûr de lui. Il écarte tranquillement les jambes, son genou me touche et j’ai envie de le frapper, de lui dire de dégager parce qu’il y a largement la place de poser son cul ailleurs. Bien sûr, je ne le fais pas, et je reste en mode « princesse de glace ». « Oui, non, ça dépend, je sais pas« .
Au bout d’un temps infiniment long, il a, hourra, arrêté de parler et de tenter ses approches physiques. J’ai pas relancé, et remis mes écouteurs. Sans musique, ho, encore une fois même avant MeToo on savait quels comportements adopter pour minimiser les risques. Et c’est là, enfin, après quelques minutes de silence, qu’il a décidé de partir se « dégourdir les jambes » et qu’il est parti pour ne plus revenir.
Alors oui, je sais, si on reprend les faits calmement et factuellement, il ne m’a rien fait, il ne m’a même pas touchée (enfin, son genou à la limite). Il a simplement tenté de faire la conversation avec une meuf, seule, dans une rame de train vide, le soir. Ahah. Non mais vraiment, nous les meufs on a peur de tout ! Et oui, je sais, ce mec était probablement très gentil et courtois, réellement très sympa, au pire un peu dragueur.
Mais il ne faut pas avoir grand chose dans la tête pour ne pas penser à l’effet que cette situation produit, franchement ! Ou alors, c’était justement ça qui l’amusait, allez savoir. J’ai pensé à tellement de trucs, je me suis fait 500 scenarii, et surtout j’ai été en panique tout le reste du trajet, guettant son retour. J’envisageais de changer de rame pour espérer en trouver une « classique », mais j’avais trop peur de retomber sur lui (et mon sac pesait 15 tonnes). J’ai flippé jusqu’à l’ouverture des portes, au point de le guetter sur le quai. Heureusement on m’y attendait, et j’ai commencé à reprendre mon souffle à ce moment là.
On pourrait m’objecter que le contexte annule le physique du mec, comme évoqué au début de ce post, parce que je me sentais trop prisonnière et en danger pour que sa drague fonctionne. Mais sincèrement, le problème de base n’est pas le lieu, c’est que dès le départ j’ai annoncé que j’étais pas célibataire ni intéressée par une, heu, « aventure ponctuelle » (un coup rapide, quoi), et qu’il a quand même insisté, même « gentiment », même en utilisant des questions détournées. Ce genre de comportement ne passe pas, dans une rame de train vide ou ailleurs. Le contexte n’est qu’une surcouche qui n’a fait qu’aggraver ma réaction de rejet, et de peur. Parce que je n’ai pas honte de le dire, j’ai vraiment eu peur ce jour là, et quand j’y repense je sens l’angoisse toujours présente. Rares sont les situations de ce type qui m’ont fait peur, pourtant j’ai souvent été en danger. De plus, j’ai généralement un bon instinct, et quand je ne « sens pas » quelqu’un, il y a une bonne raison (sauf parfois, même si là, en vrai, je ne sais juste pas… Le mec est p’t’être un tueur en série, hein, j’ai pas fait de recherches.) Là, c’était pas vraiment le cas, il ne m’inspirait rien de spécial et c’est effectivement le contexte qui a rendu cet épisode aussi flippant. La même scène avec d’autres personnes autour de moi m’aurait simplement mise mal à l’aise. Mais elle m’aurait dérangée quoi qu’il arrive, beau gosse ou pas !
Quand j’y repense, je me dis qu’il était sens doute persuadé d’être justement trop mignon pour se voir opposé la moindre résistance, vu que c’est un cliché tenace. J’espère en tout cas que grâce à la diffusion des idées féministes, les jeunes mecs sont maintenant au courant que c’est vraiment pas une situation agréable et qu’il faut éviter à tout prix de se comporter comme ça. Votre drague passe bieeeen après le bien être psychologique des meufs, point.
Et ui, je sais, j’ai tout un tas d’histoires de merde dans ma besace, mais c’est à dire qu’être une meuf donne souvent un excellent départ dans les soirées « on raconte des histoires qui font peur ». Alors j’essaierai d’en trouver de moins glauques pour les prochaines fois, mais je ne promets rien !
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