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TW validisme, brutalité sur animal sauvage. C’est vraiment rude, alors prenez soin de vous.
Ouais, j’ai vraiment pas de bol avec les noms en -ann. Pas mieux avec les noms en -stophe. C’est une malédiction, j’y peux rien.
Vous imaginez bien après les TW que ça va être violent aujourd’hui, et je m’en excuse sincèrement d’avance. Ne le lisez pas si vous avez besoin de feel good, il y en aura une prochaine fois ! Mais en parlant de validisme l’autre jour avec une certaine personne dont le nom commence par L et se termine par ooping, cette anecdote m’est revenue en pleine face. Je l’avais bien cachée sous un épais tapis, j’étais heureuse, calme et posée, et voilà, bim. Je vais donc vous raconter la fois où j’ai été confrontée au validisme le plus LUNAIRE, le plus inapproprié, le plus TOUT. C’est une anecdote en forme de succession d’étapes toutes plus bizarres les unes que les autres, et une des journées les plus mémorables (pour de mauvaises raisons) de ma vie. J’ai même hésité à la raconter tellement elle est à la fois simple et compliquée, il faut du contexte partout… Mais de toute évidence, nous y voilà, alors j’espère ne pas vous perdre en route.
J’allais souvent chez ma cousine G, encore elle, et on passait des heures à se promener dans le village (ce qui a été la cause d’un des plus gros traumas « stupides » de ma vie, j’y reviendrai un jour prochain). Dans ce village vivait Yann. Deux ans de plus que moi, deux fois plus grand, deux fois plus large. Une ARMOIRE. Je ne l’appréciais par trop, il était un peu… heu… Un peu con, quoi, et il me faisait aussi légèrement peur par sa simple présence. C’est idiot hein, mais j’étais plutôt petite et vite impressionnée par les statures imposantes. J’avais l’impression qu’il pouvait me casser en deux si il avait envie, je n’aimais pas trop traîner avec lui.
Au moment de l’incident, je devais avoir 13 ans. J’avais déjà une petite expérience des relations intimes (on s’ennuie à la campagne), donc j’ai bien remarqué qu’il se comportait un peu étrangement avec moi et je savais aussi ce que ça voulait dire. Sauf que moi, je n’étais pas du tout intéressée. Mais alors pas du tout. Il me mettait même très mal à l’aise, le genre de malaise catégorie « il n’est pas super posé dans sa tête, je suis incapable de prévoir ses actions sur les 3 prochaines secondes ».
Un beau jour, on passe devant chez lui sans avoir envie de s’arrêter mais il nous remarque et vient nous voir. Et là, attention c’est absolument affreux donc repensez au TW concernant l’animal et passez éventuellement au paragraphe suivant : le mec, qui doit donc avoir 15 ans tout au plus, nous dit « on a chopé un ragondin, vous voulez venir voir ? ». Mon sang ne fait qu’un tour, je l’envoie sur les roses en le traitant de connard. Il est avec un pote à lui, et ma cousine me dit « ils mettent des coups de pieds dans sa cage depuis ce matin ». Ah, les enfants de chasseurs, élevés dans la bienveillance et le respect de la vie, bordel que c’est beau. La Nièvre, tout un concept.
Bref je commence à l’engueuler, même si il est immense, parce que c’est vraiment intolérable pour moi, et il approche jusqu’à arriver à mon niveau. Je ne bouge pas pour tenter d’être aussi impressionnante que possible, et il a une réaction un peu… chelou : il baisse la tête comme pour m’embrasser (je ne dis pas que c’était le but du geste, c’était juste un peu bizarre et sans un mot de sa part), probablement pour m’impressionner, et je le pousse d’un coup, des deux mains, dans un magistral « nan mais dégage ! ». Ok, c’est pauvre en vocabulaire mais ça marche, il se barre en haussant les épaules et nous, on rentre voir nos parents. On leur demande si iels peuvent faire quelques choses, on est au bord des larmes de savoir ce qu’il se passe chez Yann mais forcément, personne ne peut rien faire. Bon. Je suis donc à ce moment dans un état de frustration et de colère assez élevé.
Si vous trouvez qu’on est déjà loin dans le wtf, accrochez vos ceintures.
Entre en scène : ma tante. C’est (ou était, même) ma tante « par alliance », la compagne de mon oncle, et je ne l’apprécie pas des masses non plus. Elle est, disons, particulière (agressive, avec des comportements bizarres dont une illustration va suivre). Elle commence à rire et me dit que Yann craque pour moi, que je ne devrais pas être aussi méchante avec lui. C’est là que les têtes vont commencer à bourdonner, je vous préviens.
Après un moment de perplexité (a-t-elle écouté ce qu’on vient de raconter ?), je lui réponds que c’est un sale con (enfin, je ne pense pas que je parlais comme ça devant ma mère à l’époque, mais le sentiment était très évident), que ça ne m’intéresse pas. En plus je suis -devant ma mère-, je n’ai aucune envie qu’elle sache ce que je fais dans l’intimité et avec qui, ma vie privée est déjà classée top secret à l’époque, je suis donc super gênée que ma tante se permette de me parler « de garçons » ouvertement. Je manifeste clairement que le mec ne me plaît pas, qu’il représente tout ce que je hais du plus profond de mon cœur, et que j’aimerais passer à autre chose, merci bien. Sauf qu’elle insiste, on dirait qu’il l’a payée pour qu’elle me chante ses louanges, et elle continue et continue et continue de me harceler. Personne ne dit rien, il y a un malaise qui flotte mais surtout un gros silence. Le silence des gens qui pensent que tenter de désamorcer serait pire que ce qu’il se passe actuellement. Je me sens soudain très seule et je me barre de la maison pour aller dans la voiture. C’est bon, j’ai eu ma dose de connerie pour la journée, pause.
… Du moins, j’aurais aimé. Ma tante arrive soudain et s’assied sur le siège conducteur, pour me « parler ». Genre j’ai fait une petite colère irrationnelle, ahlala la crise d’ado vraiment, hein, ma bonne dame. Et pour parler, elle parle. Elle me dit qu’il n’est pas si méchant (lol-mdr-I beg to differ), et qu’à mon âge ça serait bien que j’ai un copain (j’ai 13 ans hein, elle ne sait pas que j’en ai déjà un mais SURTOUT c’est si jeune ! 13 ANS ! À l’époque je ne me rendais pas compte mais on est encore un.e gosse à cet âge !). Je ne dis rien, je me dis qu’elle va bien finir par dégager. Mais elle persiste, et m’explique que pour une « fille comme moi » ça sera difficile de trouver quelqu’un, et qu’il faut, en gros, que je me contente de ce qui passe.
Pardon, mais je reformule. C’est difficile pour une misérable handie de trouver quelqu’un, alors il faut que je me contente de ce qui passe.
J’avais prévenu que c’était rude.
Dans le plus grand des calmes. À une gosse de 13 ans. Je suis un déchet, et donc il faudra bien faire avec le premier connard venu qui daignera m’accepter. Comme si c’était normal, comme si il fallait que j’apprenne très tôt à m’écraser pour subir. Que c’était pas à moi de choisir, que je n’avais qu’à remercier le Grand Homme qui voudrait bien de moi dans son immense générosité. La nausée. C’est à ce moment que je commence à pleurer (j’ai largement dépassé la limite de ce que je peux encaisser) et que ma tante prend ça pour une occasion de me « rassurer ». Que ça ira, que je vais bien comprendre toute seule (pardon-quoi-lol-au-secours). Et que c’est pas grave si c’est pas Yann, mais qu’il faut quand même que je sois moins exigeante, d’accord ?
In. cro. ya. ble. Non mais vraiment. C’est lunaire.
Je cède, je ne sais plus bien comment je m’en sors mais je trouve les mots qu’elle a envie d’entendre et elle dégage enfin. Et ma mère arrive, me dit qu’on rentre. Je lui ai évidemment tout balancé, mais je ne pense pas qu’elle ait saisi la gravité des paroles prononcées, ou alors elle ne voulait seulement pas en rajouter une couche. Il suffisait de l’ignorer. Certes. Ignorer qu’on considère normal que, à 13 ans, il faille me recadrer pour m’apprendre à ne pas faire la fine bouche, m’apprendre que je n’avais pas mon mot à dire. À vrai dire, c’était d’une telle violence que je n’ai pas non plus eu envie de trop épiloguer sur l’instant, et après j’ai tenté d’effacer tout ça de ma mémoire. Ce à quoi on ne pense pas n’est pas vraiment arrivé (raté). Hélas, ça a été formateur… Dans le mauvais sens.
J’en ai déjà parlé, mais pour moi le consentement a toujours été un non sujet : après avoir été tripotée dans tous les sens par des médecins toute mon enfance sans qu’on me demande jamais mon avis sur rien, mon rapport à mon corps était déjà un champ de ruines. Mais voir qu’une adulte considérait normal de me « vendre » au premier con venu parce que « il faut bien que je fasse avec ce que je trouve » n’a pas du tout aidé à me réapproprier mes limites. Surtout au début de l’adolescence, quand on commence à construire son soi « adulte ». C’était terriblement violent…
Il va sans dire que nos relations, déjà lointaines, ont achevé de se rompre ce jour là. Je n’avais pas encore les moyens ni le recul pour bien comprendre pourquoi, mais je savais qu’elle avait dit des choses qu’il ne fallait pas dire, et je l’ai classée dans « détestable, non recyclable, à traiter avec mépris ». Je suis une meuf basique. Un vrai labrador quand on est gentil.le avec moi, mais une teigne quand on me fait du mal (et c’est encore pire quand on fait du mal aux gens que j’aime).
Je me rassure en me disant que j’ai rencontré des gens formidables par la suite, que j’ai eu beaucoup d’expériences tout à fait classiques sans devoir m’abaisser à sortir avec des gens que je hais (enfin, pas dès le début tout du moins), et tout est bien qui finit bien. Ce qui me fait peur, parfois, c’est le « et si… ? ». Et si je n’avais pas eu de chance dans mes expériences amoureuses ? Et si j’avais été assez désespérée pour croire que mon but en tant que Fâmme était d’être avec un Hômme, et que le premier venu avait fait l’affaire ? C’est stupide, il ne faut pas y penser, mais ça me trotte dans la tête… D’autant qu’à un moment charnière, c’est pas passé loin. C’est ce moment qui me hante parfois, alors que je n’arrive pas à dormir et que je pense aux futurs et aux passés potentiels. Ce moment précis où je suis passée à deux doigts de ne rien faire, de décider d’encaisser ce qu’on me faisait subir et de devenir une chose éteinte. Elle aurait pu, par ces mots qui m’ont vraiment longtemps choquée et qui ont modelé une partie de ce que je deviendrais ensuite, me gâcher irrémédiablement la vie. Peut-être même que je n’aurais pas eu à tant souffrir si je n’avais pas gardé quelque part en moi cette idée qu’il fallait « me contenter » de ce que j’avais. Better the devil you know than the devil you don’t, dit-on. Je ne suis pas sure de ça.
Heureusement, ça n’est pas ce qui s’est produit, et dans ces moments-là je mets mon anxiété au pas devant la réalité tangible. Je suis aimée, je suis en sécurité. Cliché, mais suffisamment efficace pour calmer le jeu.
Reste que je ne m’explique pas comment on peut être assez inconsciente pour dire des horreurs pareilles à une enfant. Point positif : ça a bien aidé à nourrir ma haine contre le validisme. Il faut trouver du positif dans les pires moments, tout ça, blahblah, citation de merde sur des posters à la con, etc.
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