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Il y a des chansons qui viennent vous cueillir au fond de l’âme, et font remonter des souvenirs précis. J’ai cette expérience avec plusieurs titre de La Ruda, j’en évoquais déjà un ici mais je me suis limitée pour le bien de l’article en question. Il y en a un autre qui me fait chaque fois monter les larmes, c’est le morceau « Depuis ce jour ».
J’ai grandi dans un tout petit village de la Nièvre (114 habitant.e.s en 2021), mais dire ça n’est pas dire grand chose de l’expérience de la vie là-bas. On peut grandir dans un village entouré de toute les commodités nécessaires à quelques kilomètres, comme c’est le cas où je vis maintenant. Un petit village n’est pas forcément isolé du monde, et peut même se situer à proximité d’une grande ville.
Mais c’est pas comme ça, là-bas. Il n’y a rien de plus que des petits villages similaires à moins de rouler 45 minutes, et encore… J’étais quelque part entre Nevers et Auxerre, peut-on même parler de grande ville ? C’est une expérience qu’il faut vivre pour la comprendre, et big up aux autres rurales et ruraux !
Vous connaissez sans doute l’expression très désagréable « l’idiot du village ». Il y a toujours quelqu’un, dans ces villages, dont on ne sait pas bien quoi faire, qui ne fait de mal à personne mais qui est, enfin, « vous voyez bien ». Dans le cas de mon village, c’était le père Balmise. Un petit vieux tout sec, qui trimballait plus qu’il ne grimpait sur son vélo. Il marchait à côté, peut-être pour y trouver un appui, peut-être parce que… Qui peut bien savoir, au fond.
Il était souvent dehors, par tous les temps, habillé de bric et de broc, avec parfois des sacs poubelles troués et enfilés comme un pantalon, ou sur la tête pour se protéger de la pluie. On le voyait parfois trimballer une boite de conserve au bout d’une ficelle, comme un chien imaginaire, et de chien y’en a pas. Il avait une maison, et une femme qui le mettait dehors régulièrement parce qu’elle ne le supportait pas. D’autant qu’elle avait déjà un très grand nombre de chats à gérer (beaucoup trop).
Il n’était vraiment pas méchant. Des gens disaient qu’il piquait parfois des colères, mais je ne l’ai jamais vu dans cet état. D’autres disaient qu’il avait bien mérité ce qui lui arrivait, sans expliciter la raison. Peut-être, je n’étais sans doute pas née à l’époque, quoi qu’il ait pu faire. Je connais aussi la force de la rumeur, et j’ai du mal à lui accorder foi.
J’étais une toute petite fille quand je l’ai vu la première fois, sur le chemin de l’école. Il m’accompagnait parfois, quand il me voyait, et me tapait un bout de discute. Son discours était difficile à suivre, même si j’essayais. Puis il partait quand j’arrivais à l’arrêt de car, souvent sous les moqueries à peine dissimulées des rares autres gosses présents.
Je ne sais pas si il ne comprenait pas ou faisait mine de s’en foutre. Mais ça me rendait triste, alors j’ai quelque fois tenté de leur dire de le laisser tranquille, mais bon… Les enfants ne sont pas meilleurs que les adultes. J’ai donc pris l’habitude d’arriver plus tôt. Comme ça, il n’y avait personne pour se moquer de lui quand on arrivait à destination.
Je ne sais pas pourquoi il me parlait, peut-être qu’il se sentait seul, peut-être que c’était parce que je ne me moquais pas, peut-être qu’il n’aimait pas me voir aller seule à l’arrêt de car. Qui peut bien savoir, au fond.
Il ne m’a jamais gênée, j’étais surtout profondément triste pour lui. Je me disais que c’était un pauvre homme, que personne ne devrait vivre comme ça. Je crois qu’il avait des enfants, au moins une fille, qui était partie il y avait bien longtemps. Peut-être aussi qu’il m’aimait bien pour cette raison.
Il était déjà très âgé quand je l’ai connu, et le temps n’épargne pas les personnes âgées et isolées… Parce que oui, il était isolé au milieu des autres. Un beau jour, je crois que c’était à la fin du collège, on m’a dit « ah, tiens, le père Balmise est mort ». Ah bon. Il avait été envoyé « en maison », finalement, et n’en était jamais ressorti. Suite à ça, les services sociaux sont passés chez lui, avec la gendarmerie, et les chats ont été envoyés ailleurs (je ne me suis pas demandé où, je ne veux pas vraiment savoir. Ils ont forcément trouvé de gentils foyers, merci de m’appuyer sur cette version.)
Et je me suis demandée pourquoi rien n’avait été fait avant. Et comment on en arrive à cette situation. Et si il avait vraiment fait quelque chose pour mériter cette vie d’une effroyable tristesse. Et si il avait beaucoup souffert de cette solitude.
Qui peut bien savoir, au fond.
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