Gravure ancienne montrant l'entrée d'un terrier.

Dans la catiche

La face mal cachée de la Loutre


Les galvachers

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Pour introduire officiellement cette mini-rubrique « histoires du Morvan », nous allons parler des galvachers1. C’est quoi don’ ? Et pourquoi don’ qu’t’en causes ?

Je vais commencer par expliquer pourquoi j’en parle : quand j’ai proposé de parler un peu du Morvan, j’ai eu quelques retours encourageants. Et c’est vrai que c’est intéressant ! Je me rends compte qu’il y a des choses plus ou moins méconnues que je peux partager, donc autant en profiter. D’autre part, c’est un sujet que j’apprécie : j’aime bien l’histoire des pauvres, probablement parce que je suis également issue de cette population rurale et sans moyens. Ras le fion de l’histoire des rois et des « grands de ce monde » (pis grands par rapport à quoi, hein, on se demande). On est pas chez Berne ici, on est de gauche, donc on va parler histoire populaire.

D’ailleurs, disclaimer qui risque d’accompagner tous ces articles : je parle de choses qui sont assez peu sues par les gens qui ne sont pas de la région, mais le but est uniquement informatif : je ne suis ni chauvine ni particulièrement fière de mes racines, blahblah. Tout au plus peut-on dire que je m’y sens attachée malgré ses insupportables défauts, et que certaines parties de son histoire m’émeuvent un peu. Bref, c’est tipar.

Alors c’est qui/quoi ?

Photographie ancienne, montrant un homme vêtu de couleur sombre avec un chapeau rond à large bord, et un duo de bœufs blancs attelés.

Tout simplement des paysans qui, équipés de leurs chars et de leurs bœufs, partaient depuis le Haut-Morvan (une petite région au centre de la Bourgogne) se louer dans les territoires lointains (comme le montre la carte en dessous). Ils partaient loin, certes, mais aussi longtemps : environ la moitié de l’année entre le printemps et l’automne. Pendant cette période pourtant débordante d’activité dans les fermes, nombreux étaient ceux qui partaient à l’aventure en laissant les exploitations aux mains des femmes et des autres membres de la famille qui ne partaient pas. Mais pourquoi partaient-ils, alors ? Ben … La raison habituelle, j’ai envie de dire. L’espoir de gagner un peu d’argent, bien sûr.

Il faut quelques éléments de contextes. Nous sommes au 19ème siècle, dans le Haut-Morvan. Les familles sont nombreuses (et ça a continué longtemps, il y a eu 9 enfants dans la famille de mon père, pour situer un peu…), et l’argent manque. C’est même la misère. « Heureusement », nous parlons d’une population rompue à l’utilisation des bœufs depuis son plus jeune âge : ils maîtrisent grave la meuh.

En parallèle, ailleurs en France, on a besoin d’augmenter les rendements un peu partout : plus de terres cultivées, plus de pierres et de troncs à transporter pour des chantiers sans fin… Il faut plus de bœufs, il faut aussi des gens pour les conduire, des gens pas trop regardant sur la difficulté du travail…

BIM, it’s a match ! La « bonne nouvelle » se propage, et les morvandiaux2 les plus aventureux décident alors de quitter leur famille pendant des mois dans l’espoir de revenir avec un petit pécule. Et de fait, ils sont en moyenne deux fois plus payés en partant qu’en trouvant des emplois sur place. Pas de quoi s’offrir un manoir, mais de quoi aider la famille, c’est déjà quelque chose. Évidemment, pour ça il faut accepter de partir seul pendant des mois, vivre au jour le jour le temps du trajet en mangeant un peu ce qu’on peut, trouver où dormir… Le rêve, hein.

Pour mitiger un peu cette impression, précisons tout de même que les voyageurs s’organisent généralement en amont avec des étapes connues et prévues, et partent en petits convois pour plus d’efficacité. Quelques femmes les suivent parfois pour s’occuper de la logistique (… Faire la bouffe, surtout.), ou les rejoignent en train sur le lieu d’arrivée prévue par les galvachers. Malgré cette organisation sommaire, il est quand même parfois difficile de trouver où loger les bœufs et très souvent les gens se contentent de très peu de nourriture. Le voyage est éprouvant, et le travail encore plus.

Il faut également se représenter une chose importante : à l’époque, partir était réellement une aventure : les routes étaient rares, et la région considérée comme non civilisée (… ah tiens, ça c’est toujours pareil). En 1852, Dupin (créateur du réseau routier local) décrit le Morvan en ces termes :

« Le Morvan si l’on formait une enceinte de territoire compris entre Château-Chinon, Autun, Saulieu. Avallon et Lormes, compose un massif d’environ douze lieues de côté, à travers lequel, il y a quarante ans, on ne trouvait ni une route royale, ni une route départementale, ni même un chemin de grande vicinalité en bon état. Point de ponts, quelques arbres bruts à peine équarris jetés sur les cours d’eau, ou, plus ordinairement, les pierres disposées çà et là pour passer les ruisseaux. Ainsi, cette contrée au cœur de la France était une véritable impasse pour les pays voisins, une sorte d’épouvantail pour le froid, la neige, les aspérités du terrain, la sauvagerie des habitants, un vrai pays de loups dans lequel le voyageur craignait de s’égarer… Qu’on se représente un chemin pierreux, tortueux, montant ou descendant sans cesse, traversé à chaque pas par des ruisseaux venant du faite des montagnes, bordé de haies vives ou creusé comme un ravin, et l’on aura ainsi une idée de l’un des meilleurs chemins du Morvan. Que l’on juge d’après cela de l’état où devait être un chemin que les habitants appelaient eux-mêmes un chtif (chétif) chemin… »3

Pour ainsi dire le Mordor. Le voyage était donc compliqué.

Et on peut parler des vaches ?

Ho oui, parlons des vaches ! C’est important, les vaches. Peut-être le savez-vous, mais il y en a beaucoup en Bourgogne. Elles sont, hélas, élevées pour la viande, et c’est la célèbre charolaise (les vaches blanches) qu’on voit le plus souvent. Sélectionnée pour être la plus musclée possible, cette race s’est imposée un peu partout dans le pays et vous la connaissez sûrement. Cependant, avant l’arrivée des vaches blanches, il y avait déjà une race locale. On va revenir un peu en arrière, et parler de la race disparue des Morvandelles.

Car figurez-vous que le Morvan a abrité une race de chevaux (de ce qu’on en sait, des petits modèles trapus, donc du style des grands poneys) ainsi qu’une race de vaches spécifiques. Des animaux parfaitement adaptés à la circulation dans les massifs forestiers environnants. Ces chevaux ont disparu avant le début du 19ème siècle, et ces vaches au courant de ce même siècle, officiellement. Je dis bien « officiellement » car des gens ont mené une enquête passionnante sur cette race de vache, et on peut la lire par ici : Sherlock Holmes et la Morvandelle, histoire d’une vache mythique

Mais pour vous faire un résumé, il s’agissait d’une petite race à la robe « pie-rouge ; le rouge se dégradant vers le jaune, mais aussi souvent assez foncé. Le blanc se trouve localisé sur le dos, la croupe ainsi que sous le ventre et à la face interne des membres ». Cette dernière a été longtemps employée, mais avec le développement du réseau routier et la plus grande facilité de circulation, les puissants bœufs blancs charolais ont commencé à s’imposer, d’abord via des croisements puis en remplacement total. Suite à quoi, comme souvent face au besoin sans cesse croissant de rendement et d’efficacité, la petite vache a fini par disparaître.

Rosa Bonheur, Labourage nivernais.
Peut-être une des deux seules représentations de cette vache, ici clairement remarquable par sa fourrure rousse.
Les vaches « jaunes » sont peut-être des croisement avec la charolaise.

Notez que j’ai du mal à concilier mon amour des races anciennes (pas seulement des vaches) et adaptées à leur terroir avec mon envie de voir disparaître l’exploitation animale… Nous sommes des petits êtres de contradictions. Et j’aime bien les meuh.

Et ça a duré longtemps ?

Pour conclure, on peut parler de la fin des galvachers… Même si il y a en réalité peu de choses à dire. Entre le maillage routier et ferroviaire sans cesse étendu et les progrès technologiques, le besoin de cette main d’œuvre spécifique s’est éteint. On estime que la fin de la galvache est arrivée au début des années 1920, et a vivoté jusqu’à la généralisation des tracteurs. Le monde avait changé. Et après avoir vidé le Morvan de ses ressources, le pays allait maintenant l’oublier.

Parce que c’est une chose qui va revenir dans les prochains articles, et c’est un vrai fil rouge entre tous : l’exploitation sans fin, tant des ressources que des personnes, dans la région. Le Morvan était trop pauvre et trop proche d’une capitale affamée… Alors que cette région un peu archaïque se sur-peuplait et n’avait pas grand chose à proposer dans ce monde en plein changement qui fonçait vers le modernisme, il fallait faire avec ce qu’on avait : des gens. Celleux qui le pouvaient sont parti.e.s vers une herbe plus verte (souvent vers Paris), les autres ont tenu comme iels pouvaient les exploitations agricoles ou proposé d’autres services (j’en parle très bientôt). La principale ressource de la région (le bois) a été également exploitée jusqu’à faire disparaître des forêts qui avaient survécus à toutes les autres périodes historiques, dans un pays qui a pourtant très tôt été modelé pour l’agriculture (depuis les celtes, on va dire). J’ai parfois l’impression que mon amour de la forêt est ancré profondément, conditionné par une ancienne tristesse de les voir disparaître. Laissez-moi être un peu mystique, merci.

Quand j’étais petite, je ne comprenais par cette haine des « parigots », qui était vraiment très vive et me semblait anachronique. C’est à la lumière de l’histoire, et même d’une histoire récente (de mémoire humaine), que j’ai pu comprendre le ressentiment d’un peuple contre cette capitale qui avait dévoré leurs ressources et leurs enfants. Sans parler du fait que la région est restée pauvre, et toujours en retard par rapport à beaucoup d’autres sur les progrès technologiques malgré ces efforts énormes. J’oserais presque dire que le gouffre s’est encore creusé ces dernières années, et on peut voir des situation ubuesques notamment dans le milieu de la santé (nan, c’est pire que ce que vous imaginez je crois). Mais on s’éloigne du sujet, et si je ne m’arrête pas très vite je vais commencer à parler politique, on ne va pas s’en sortir. L’important c’est que le passé n’est jamais aussi loin qu’on le croit, et que certaines blessures ne guérissent pas, tout au plus sont-elles cachées par la disparition des dépositaires de la mémoire, petit à petit.

Pour aller plus loin, je vous conseille de jeter une oreille au chant particulier, appelé « tiaulement », des conducteurs de bœufs . C’est assez bizarre à écouter, je vous préviens, c’est tout sauf une recommandation musicale. Mais c’est historiquement intéressant : c’est un chant long et traînant dont le but était d’encourager les bœufs, avec des paroles un peu aléatoires. L’important était de le maintenir pendant de longues périodes et d’accompagner l’effort des bêtes.

Voilà, c’est un résumé succinct mais je l’espère assez complet sur ce métier disparu, et sur lequel la documentation est rare. J’espère néanmoins que certain.e.s auront découvert quelque chose ! Et si vous êtes sages, la prochaine fois on parlera de la fameuse bête du Morvan. Ouaip, avant même le Gévaudan et, oserais-je dire, bieeeen longtemps après. On parle toujours des mêmes, y en a marre okay ? (Merde, on a dit « pas de chauvinisme », à quoi ça ressemble j’vous jure…).


1 : il n’y a pas de consensus sur l’origine du mot en lui-même, je ne vais donc pas trop prendre parti sur le sujet. Marcel Vigreux évoque plusieurs pistes, notamment l’hypothèse la plus immédiatement évidente : « Gal » du terme « Gaulois », ce qui en ferait donc le « vacher gaulois ». Cependant, il cite une plus bien plus probable et moins noble : « Le mot n’est pas d’origine morvandelle mais berrichonne : galvache est une déformation de galouache ou galouage, le fait de « courir les chemins » / « Galvacher » est un surnom, donné par moquerie aux charretiers morvandiaux par les berrichons, chez qui ils venaient faire des charrois : le Galvacher, montagnard jugé et un peu méprisé par les gens de la plaine, et un « traîneur de chemins ». »

2 : le terme officiel aurait dû être « morvandeau », « morvandiau » est un terme un peu méprisant à l’origine qui a ensuite été repris fièrement par la population locale. Ouais, c’est du retournement de stigmate, tout simplement, là encore.

3 : cité par Jacques Renée Levainville, dans « Le Morvan, étude de géographie humaine ».

Toutes les images et cartes sont issues du livre « La galvache et les galvachers », de Marcel Vigreux.

Pour aller plus loin, un article très complet est disponible ici : Les galvachers du Morvan par Philippe Berte-Langereau



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