Gravure ancienne montrant l'entrée d'un terrier.

Dans la catiche

La face mal cachée de la Loutre


Quitter un lieu.

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Je connais ma tendance à l’intransigeance, et je passe justement par une période compliquée en ce moment, à tenter de lutter contre. Hé oui, je parle de la dernière-dernière-dernière vague de départs de Twitter, suite aux élections aux USA, qui survient teeeellement trop tard. Le mal est déjà fait… Il aurait été mieux d’y penser avant. Mais bon, ces gens qui partent ont toute ma sympathie, parce que je sais que c’est compliqué de partir. J’ai en revanche beaucoup de mal à offrir cette même sympathie aux gens qui restent même si je n’ai pas oublié d’une minute sur l’autre que c’est, hé oui, je viens de le dire, compliqué de partir.

J’ai envie de prendre quelques minutes pour parler de mon rapport personnel avec le fait de quitter des espaces virtuels communautaires. Ça peut sembler curieux, mais j’ai une sorte de mini-trauma lié à ça, ce qui m’a paradoxalement aidé à quitter Twitter quand le temps est venu : j’avais déjà pris le coup.

Retour en arrière sur… 20 ans, environ. A la grosse louche. J’étais une joueuse de Dofus à l’époque, et j’ai rencontré une meuf super, avec laquelle on a fondé une des guildes les plus connues du serveur (à l’époque) (je suis même la première à avoir fait naître une dragodinde turquoise, héhé, incroyable). C’était sympa, l’ambiance était bonne, et je me suis amusée quelques temps… Mais voilà, j’ai eu envie d’aller sur un autre jeu (WoW, of course, que je n’ai pas quitté). Bref, j’étais quelques heures par jour avec ma guilde, puis je partais WoWer. Petit à petit, le ratio s’est inversé, on ne me voyait plus beaucoup en ligne, si bien qu’un jour je me suis connectée pour annoncer que je partais et pour donner toutes mes affaires (j’avais une réserve d’or assez conséquente et quelques trucs sympas dont je voulais faire profiter les potes en partant, d’autant que je supposais déjà que je ne reviendrai jamais). Le jour, donc, où je suis arrivée en ligne pour l’annoncer, une conversation était en cours sur le canal de guilde entre ma co-leadeuse, que je considérais comme une amie, et d’autres personnes. L’idée générale était que j’étais une traitresse (oui oui, le mot est sorti), et on me cassait du sucre sur le dos à qui mieux mieux. Pour la seule et unique raison que je me sentais mieux ailleurs. Pas d’inquiétude, en bonne gauchiste j’ai quand même distribué mes richesses et je suis partie. Je n’ai plus jamais eu de contact avec ces gens.

C’est idiot, n’est-ce pas ? Il y avait déjà des messageries directes, il n’y avait pas lieu de couper les ponts avec quelqu’un que j’appréciais pour une histoire aussi bête. Mais hélas, son avis était différent. Je sais que l’expression « relations parasociales » est à la mode dès qu’on parle d’amis sur Internet mais on était -vraiment- amies, on était même deux couples d’amis, ils étaient d’ailleurs déjà venus à la maison, bref c’est une relation amicale classique qui a été rompue ce jour là suite à la pire des trahisons : j’étais partie sur un autre espace virtuel. Impardonnable, de toute évidence. Cela dit, après avoir été témoin de son comportement et de sa façon de réagir en pensant que je n’étais pas là, je pense que je n’aurais pas eu envie de lui parler de nouveau. C’est donc, finalement, pour le mieux.

Une rupture amicale, même avec des gens qu’on fréquente en ligne, c’est une rupture comme une autre : il faut faire le deuil de la relation, c’est pas toujours simple émotionnellement. Surtout que bon, mon histoire est ponctuée de gens qui m’ont largué amicalement du jour au lendemain ( et hop, bientôt un article « mon top 5 des meilleures fois où j’ai été ghostée »). Si j’ai du mal à m’engager ou à faire confiance, faut pas m’en vouloir hein. J’essaie vraiment d’être présente et de ne pas penser qu’on va m’oublier en claquant des doigts, mais je n’y parviens pas toujours. BREF. Retour au sujet.

Cette expérience m’a appris une chose importante : quand on part de ce genre d’espace, ça ne concerne pas que nous-même mais aussi les personnes dont on est proches. Parfois, si il y a déjà une habitude d’échanges ancrée à l’extérieur de l’espace en question (avec un autre canal de discussion par exemple) ça peut très bien se passer, mais on peut tout autant couper les ponts brutalement. Il faut donc se préparer à souffrir de l’absence de gens qui nous manquent, faire souffrir d’autres gens à qui on va manquer, ou même trouver des gens qui vont nous en vouloir de partir… Les émotions humaines sont partout, les réseaux sociaux ne sont même faits que de ça. On ne peut pas en faire abstraction, et il faut assumer ses choix parfois radicaux.

Le jour où j’ai quitté Twitter, j’ai quitté des gens adorables. Mais voilà, pour moi, rester était l’équivalent de rentrer dans un bar nazi et taper la discute avec la clientèle. Même pour vendre quelque chose, c’est une chose que je ne ferais jamais dans le monde physique alors il était évident que partir était la seule option. Je sais que, à l’époque, des gens sont restés pour « ne pas leur laisser l’espace ». Si c’est un point que je peux entendre en général, ça ne marche pas ici : le patron du bar EST le nazi en chef. Alors on ne va pas chez lui mais on s’organise autour : dans la rue, dans les autres bars, bref. On ne reste pas pour financer son petit business, ça n’a aucun sens. Personnellement, j’ai posé mon stand dans une rue transversale entre des marrons chauds et un jongleur. C’est cool, j’aime bien l’ambiance.

J’ai envie de croire que mes convictions sont plus fortes que ma peur (ou ma flemme), en tout cas on dirait que ça se vérifie souvent. Je me dis aussi que c’est un avantage quand tout autour de nous est politique. Je ne fais pas toujours les meilleurs choix, j’imagine que je fais parfois des choses critiquables, mais en général j’essaie d’en mesurer rapidement les implications avant de prendre une décision et d’être la plus droite possible. Sinon j’ai du mal à dormir, c’est chiant en fait.

Quoi qu’il en soit, et même si je ne peux pas m’empêcher de faire valoir mes arguments, je comprends quand même que des gens restent, pour les raisons évoquées plus haut. On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne. Et ça peut être paralysant. Recommencer à zéro ailleurs, c’est également potentiellement épuisant. J’essaie de me souvenir de ça, même si ça me rend parfois triste, même si j’en tiens pour responsable de ce qui est arrivé ces derniers mois. Je fais de mon mieux pour compatir. Ho, je sais que je ne vais pas y arriver émotionnellement, hein. Mais j’arrive à le rationaliser, et c’est déjà un début.

On vit quand même un moment étrange… Qui aurait cru que les réseaux sociaux prendraient une telle importance dans la vie de toustes, avec des implications aussi concrètes et délétère… Mais il parait qu’il suffit d’éteindre l’ordinateur. Tout ira mieux alors. Hein. Il parait.



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